La Berlinale 2018 sous le signe de #MeToo

Le Festival de Berlin, à sa 68° édition en 2018, a traditionnellement toujours été placé sous le signe de la politique. Politique de la main tendue, tout d’abord, jusqu’à la chute du Mur qui coupait la ville en deux, lorsque c’était un des lieux de rencontre de l’Europe de l’Ouest et de celle de l’Est, avec des sélections de films placées sous le signe de l’équilibre entre les deux blocs de la Guerre Froide. Politique de la réconciliation, ensuite, entre les deux Allemagnes réunifiées. Politique de l’acceptation de la diversité, enfin, avec la transposition par certains choix des sélectionneurs de la générosité traditionnelle berlinoise envers ce que l’on appelle aujourd’hui les LGBT, la remise dans son cadre des « Teddy Awards » réservés aux films gays et lesbiens depuis 1985 en étant le signe le plus manifeste. C’est dire qu’il ne fut pas surprenant de constater que le millésime 2018 de la manifestation s’était ostensiblement placé sous le signe de l’hashtag #MeToo. Le festival s’étant doté cette année d’une charte de bonne conduite, en quelque sorte, en diffusant largement son exigence de non-discrimination et de protection contre toute sorte de harcèlement des festivaliers, les professionnels comme le public payant. D’ailleurs, la Berlinale pouvait se targuer d’être au-dessus de tout soupçon en matière d’égalité entre les sexes, puisque l’Ours d’Or avait été attribué l’an dernier à la talentueuse Ildikó Enyedi pour On Body and Soul.

TouchMeNotLe palmarès du jury, présidé cette année par le réalisateur allemand Tom Tykwer, fit cette année la part encore plus belle aux femmes, en somme, puisqu’elles y furent encore mieux représentées. L’Ours d’Or, tout d’abord, fut à nouveau attribué à une réalisatrice, la Roumaine Adina Pintilie, pour Touch Me Not, film intimiste sur les difficultés d’une femme ne supportant pas d’être touchée et donc les rapports sexuels, et sur ses tentatives de se dépasser. Premier film, Touch Me Not reçut d’ailleurs également le prix décerné à ce titre, l’équivalent berlinois de la Caméra d’Or cannoise, le Prix GWFF, doté de 50.000 euros. Quant au dauphin, L’Ours d’Argent Grand Prix du Jury, il fut également décerné à une réalisatrice, la polonaise Małgorzata Szumowska pour Twarz (Mug pour l’exportation).  Même le prix Glashütte du meilleur documentaire, toutes sections confondues, décerné par un jury ad hoc, revint également à une réalisatrice, l’autrichienne Ruth Beckermann pour Waldheims Walzer (La Valse de Waldheim), un documentaire introspectif sur la révélation du passé nazi de Kurt Waldheim, ancien Secrétaire Général de l’ONU alors qu’il tentait ensuite de se présenter à la présidence de l’Autriche.

201819628_2La répartition des autres Ours d’Argent fit à peu près le tour des autres films les plus remarqués d’une sélection officielle assez inégale. Le prix de la meilleure réalisation revint à Wes Anderson pour son original film d’animation Isle of dogs, qui fit l’ouverture du festival, une œuvre pleine de dérision montrant l’évacuation de force dans une île dépotoir de l’ensemble des canidés d’une ville japonaise en proie d’ici quelques décennies à une maladie du « chien fou » assez semblable à celle de la « vache folle », du fait du contact des humains avec les chiens malades. Le prix de la meilleure actrice revint à Ana Brun pour sa prestation dans Las herrederas (Les héritières), de Marcelo Martinessi, un film qui reçut également le prix Alfred Bauer du film innovant et le prix FIPRESCI de la critique internationale pour la compétition. Le prix du meilleur acteur fut décerné à Anthony Bajon pour sa prestation dans La Prière, de Cédric Kahn, seule représentation de la France au palmarès. Les Espagnols Manuel Alcalà et Alonso Ruizpalacios se partagèrent le prix du meilleur scénario pour leur travail dans Museo, réalisé par ce dernier. Enfin, le prix de la meilleure contribution artistique revint à Elena Okopnaya pour ses costumes et son travail dans Dovlatov, d’Alexey German Jr. On regrettera peut-être simplement l’absence d’une mention au palmarès pour l’exigeant Transit, de Christian Petzold, où les situations de la France en voie d’occupation par les troupes allemandes durant la Seconde Guerre Mondiale sont vécues en une sorte d’uchronie dans le cadre de la France d’aujourd’hui.

Parmi les autres récompenses, on signalera les deux autres prix FIPRESCI de la critique internationale, River’s Edge, du japonais Isao Yukisada, pour la section « Panorama » et An Elephant Sitting Still, du chinois Hu Bo, présenté au Forum International du Jeune Cinéma.

Un festival en voie d’évolution

Nous avions évoqué au fil des années l’importante diversification du festival, devenu de plus en plus protéiforme, entre l’augmentation du nombre de films présentés dans ses diverses sections, et la volonté affirmée par le Directeur de la Berlinale, Dieter Kosslick de délocaliser autant que possible la manifestation dans la ville, et pas seulement autour de son quartier général de la Potsdamer Strasse. Or comme Dieter Kosslick a annoncé un peu avant le début du festival qu’il ne demanderait pas le renouvellement de son contrat, qui s’achèvera après le millésime 2019 de la manifestation, les festivaliers multiplièrent les rumeurs. Celle qui revenait le plus souvent était la possibilité d’un resserrement du nomrbe de films de la Berlinale afin d’en accroître l’intérêt pour les journalistes et critiques.  D’ailleurs, le renouvellement avait déjà commencé pour la section Panorama, dont son excellent directeur de longue date, Wieland Speck, a abandonné cette année la direction, revenue à un trio formé de Paz Lazaro, Michael Stütz, et Andreas Struck – le Forum restant animé par Christoph Terhechte.

2014_0467_ORGUn marché du film européen… de plus en plus mondial !

Bien évidemment, ce resserrement ne concernerait que le Festival à proprement parler, et pas son Marché du Film. Le « Marché du Film Européen » qui avait été fondé par Beki Probst a en effet pris une résonnance mondiale, et il s’agit maintenant incontestablement du premier rendez-vous de l’année des professionnels du cinéma du monde entier, avec 9000 participants inscrits en 2018 pour sa 30° édition, selon les indications données à la presse. D’ailleurs, le marché a littéralement explosé physiquement cette année, puisque les stands sont maintenant répartis sur trois lieux. L’augmentation de la participation s’est faite physiquement sentir jusque dans les espaces dédiés aux stands. Avec 45 compagnies enregistrées pour le Marché en 2018, la France avait le contingent national le plus important. Unifrance, bourdonnant d’activité du matin au soir, a même dû sacrifier son « espace café » afin de laisser plus de place à nos professionnels de l’exportation ! Selon l’ensemble des observateurs, les achats ont été fort nombreux cette année, et pas seulement du fait des « nouveaux » acteurs, Amazon et autres Netflix, mais aussi du fait des acheteurs traditionnels pour les salles de cinéma.

Le Marché du Film, maintenant dirigé par Matthijs Wouter Knol multiplie par ailleurs les initiatives, avec cette année une focalisation sur le documentaire, mais aussi un séminaire sino-européen « Bridging the dragon », une série de débats, des ateliers de travail, etc. Maintenant présidente du Marché, Beki Probst, à l’origine et animatrice de cette évolution durant trois décennies, a d’ailleurs été récompensée d’un prix spécial durant le festival, la « Berlinale Camera ».

Das Abenteuer einer schönen Frau, Deutschland 1932: Regie: Hermann Kosterlitz Une rétrospective remarquable

Comme si cette abondance ne suffisait pas, les plus cinéphiles ont pu constater que les Berlinois ne rechignaient pas à redécouvrir le passé un peu oublié du cinéma de la République de Weimar, qui, il y a un siècle, avait précédé l’avènement du nazisme. Accompagnée de l’édition d’un livre-catalogue (malheureusement seulement en Allemand), la rétrospective du Festival permit de découvrir dans divers cinémas de la ville des copies restaurées de comédies comme L’aventure de Théa Rolland, amusante pochade de 1932 dont Lil Dagover était la vedette (ci-contre), Crise, du grand Wilhem Pabst de 1928, le célèbre La Lumière Bleue, de et avec Leni Riefenstahl, et bien d’autres encore. La rétrospective méritait sans doute à elle seule le voyage pour un amateur d’histoire du cinéma. Non seulement devenu le premier des quatre grands rendez-vous de l’année de la profession cinématographique mondiale, avec Cannes, Venise et Toronto, la Berlinale a donc aussi été en 2018 une étape majeure de la cinéphilie !

Philippe J. Maarek

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