Histoires de sorcières au Festival d’Ankara

Depuis 16 ans, un regroupement d’associations de femmes turques organise un festival de cinéma où les films présentés sont tous réalisés par des femmes… Entre étonnement et curiosité, je suis partie à Ankara, comme jurée Fipresci et j’ai découvert une sélection d’excellente qualité, dans une ambiance particulièrement chaleureuse.

Du 9 au 16 mai 2013, le Flying Broom International Women’s Film Festival – ou en français, le Balais volant, Festival international de femmes réalisatrices – a présenté un programme très copieux. 12 films dans la compétition internationale, 5 dans la sélection turque, 13 dans la catégorie « en résistance », 12 pour « la famille » plus une kyrielle d’autres mini programmes autour des courts, de l’écologie ou des documentaires. Enfin, deux hommages, l’un à la réalisatrice allemande et l’autre à la réalisatrice suédoise Mai Zetterling.

Le seul prix attribué à un film pendant ce festival est celui de la Fipresci, dans la sélection internationale. Il a été décerné à Queen of Montreuil de Solveig Anspach « pour l’optimisme avec lequel il traite des chagrins de la vie, de la solitude et du deuil, et pour ses deux personnages de femmes libres et artistes, qui nous montrent combien le cinéma est source de joie ». Mais plusieurs actrices et réalisatrices turques ont été récompensées, lors de la cérémonie d’ouverture et de clôture : notamment Perihan Savaş, Zeynep Aksu, Suzan Kardeş et Yildiz Kenter.

Les bonnes surprises ont été nombreuses dans ce festival. D’abord parce que, pour la première année, il y avait 5 films de réalisatrices turques, ce qui a permis de faire une section à part et de prouver la vitalité des femmes cinéastes dans ce pays. Auréolé d’un grand succès populaire, Araf (Somewhere in Between, 2012, 124′) de Yeşim Ustaoğlu raconte l’histoire d’amour malheureuse entre une très jeune fille idéaliste et un beau ténébreux (ah, le charme d’un 35tonnes rouge sur une aire d’autoroute…). Mais si la première partie est réalisée avec beaucoup de finesse, la suite est trop maladroite pour convaincre. Le sujet d’une grossesse non désirée est sans doute encore trop délicat pour être traité autrement que frontalement. J’ai été plus séduite par le premier film de Belmin Söylemez,  Şimdiki Zaman (Au Présent, 2012, 110′), histoire moins dramatique et plus universelle d’une jeune femme un peu perdue dans sa vie et dans sa ville. Elle trouve un travail de diseuse de bonne aventure, qui lui permet d’exprimer son malaise.

Beaucoup de bons films dans la sélection internationale, notamment Baby Blues (2012, 98′) de la polonaise Katazzyna Roslaniec où cette fois la très jeune mère veut son bébé pour combler un gros manque affectif. Une dénonciation radicale et très dynamique de l’égoïsme et de l’immaturité affective de nos contemporains. Ginger and Rosa (Royaume-Uni, 2012, 90′) de Sally Potter conjugue l’explosion de la famille nucléaire sur fond de militantisme anti-nucléaire, avec Elle Fanning dans le rôle principal, bien obligée de grandir devant tant de déceptions. Le film sort en France le 29 mai prochain. Atmosphère étrange et belle photographie pour le film de Threes Anna, Silent City (Pays-Bas, 2012, 76′), où une jeune Européenne effectue un stage de découpe de poissons chez un grand maître japonais : ça redonne des couleurs aux suhis !

Monica Treut est venue elle-même présenter 4 de ses films et participer à des débats passionnés dans ce pays où l’homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale et où on n’ose pas s’afficher en public. Etonnant de voir avec quelle émotion les spectateurs posaient leurs questions, étonnant aussi de voir l’assiduité d’un groupe de jeunes femmes voilées à ces projections… Comme quoi ce festival répond à une véritable attente et qu’il faut toujours des sorcières venues de loin pour changer le cours des événements.

La dernière sorcière venait du grand Nord et la découverte de l’œuvre de Mai Zetterling a été un grand plaisir de cinéma. Les Amoureux (1964), Jeux de nuit (1966), Les Filles (1968) et Amorosa (1986) sont des films aussi brillants que surprenants. Une mise en scène virevoltante pour des personnages hors normes confrontés aux préjugés bourgeois, joués par des actrices pétillantes. La réalisatrice suédoise, morte en 1994, est étrangement absente des catalogues et des rétrospectives des festivals généralistes.  Son cinéma est pourtant très novateur (trop peut-être messieurs les critiques ?) radical, avec une mise en scène éblouissante. Il fallait coiffer  son chapeau pointu et enfourcher son balai magique pour voler jusqu’à Ankara, et participer à cette belle réunion de sorcières et de cinéma pour en profiter.

Magali Van Reeth

Lien site festival : http://festival.ucansupurge.org/english/index.php

Festival de Kiev: « Molodist 42 »

Une jeunesse européenne chahutée par le bouleversement des valeurs traditionnelles, autant affectives qu’économiques et c’est, à travers les films en compétition, tout un nouveau monde qui se construit sous nos yeux.

Du 20 au 28 octobre 2012, le festival international du film de Kiev, le Molodist 42, s’est déroulé dans plusieurs cinémas de la capitale ukrainienne. Les deux principales compétitions, celle des courts-métrages et celles des longs métrages ont donné un bel instantané de la grande Europe, du Portugal aux confins de la Russie. Ces compétitions sont ouvertes aux jeunes réalisateurs qui présentent leur premier film.

La compétition des cours-métrages a été d’une excellente qualité, que ce soit dans l’utilisation des images d’archives, comme pour Le Facteur humain du français Thibault le Texier, sur la rationalisation du travail des salariés ; dans la dénonciation de la crise financière, avec Circus de l’espagnol Pablo Remon ou dans l’importance de la poésie pour une génération contemplative, comme dans le film géorgien, Shavi Tuta de Gabriel Razmadze.

Parmi eux, deux films d’animation, Sommeil de la polonaise Marta Pajek et Oh Willy… une réalisation franco-belge d’Emma De Swaef et Marc James Roels. Depuis un an, ce petit bijou tourne dans de nombreux festivals et rafle tous les prix. Des figurines de tissu, dont la douceur et la fragilité s’accordent particulièrement bien avec cette histoire de deuil et de résilience. Un chef d’œuvre qui donne tout son sens à l’animation.

La compétition des longs métrages a montré combien les citoyens européens sont aujourd’hui mobiles : Eastaglia de Darya Onyyshcheriko en est le meilleur exemple. Une coproduction entre l’Ukraine, l’Allemagne et la Serbie et des personnages de différents pays, immigrés heureux dans leur pays d’accueil, expatriés professionnels, histoires d’amour entre langues dfférentes, des destins imbriqués et des rêves communs, les jeunes montrent une réelle volonté de dépasser les clivages culturels.

Lors de la remise des prix, le président du jury officiel, l’artiste hongrois Zoltan Kamondi, réalisateur, dramaturge et producteur, a prononcé un brillant hommage à Antonin Arthaud. Rappelant l’importance du cri et de la révolte hors des sentiers battus pour le poète français, il a remis le prix du meilleur long-métrage au réalisateur grec Babis Makridis pour son film « L ». Tragédie burlesque où un homme, au volant de sa voiture, cherche une route à suivre, balloté entre ses désirs de jeunesse, de voyage et de maturité et affrontant la figure de l’ours. Cet animal a inspiré toutes les cultures européennes depuis des siècles, il est signe de puissance, d’effroi et de force, entre mythe et folklore. Dans ce film grec, il est le miroir d’un homme à la recherche d’une nouvelle expression de la virilité. Et le cri de l’acteur principal est l’un des plus long de l’histoire du cinéma !

Le jury Fipresci a attribué son prix au film franco/israélien Le Jardin d’Hanna d’Hadar Friedlich qui sortira dans quelques semaines en France sous le nom de Beautiful Valley. Ce qui laisse une nouvelle fois songeur face à l’absurdité des titres de film lors de la distribution en salle… Le jury œcuménique a récompensé Hemel de Sacha Polack. Portrait d’une jeune femme cherchant la frontière entre sexe et amour, et de son père, incapable d’assumer son statut. Présenté en février dernier à la Berlinale, ce film néerlandais avait déjà obtenu un prix Fipresci.

Magali Van Reeth

Le Festival de Toronto fait l’événement

Il n’y a dorénavant plus aucun doute, le Festival International de Toronto est devenu l’événement cinématographique majeur de la seconde partie de l’année, se démarquant maintenant considérablement de ses principaux concurrents de l’automne, et notamment de Venise, par l’importance de la participation des professionnels du cinéma du monde entier, mais aussi par la ferveur de son public de spectateurs cinéphiles. Depuis deux ans, Toronto bénéficie en outre d’une remarquable base, le Bell Lightbox un bâtiment tout neuf, construit grâce à des millions de dollars de donations. Il dispose ainsi tout au long de l’année d’espaces d’exposition, de cinq salles de cinéma, et de bureaux permanents sur ses six étages. Cela fait maintenant du groupe un acteur permanent de la vie culturelle de la capitale économique du Canada.

Le Festival se prolonge ainsi toute l’année pour les habitants de la ville, avec par exemple une reprise cet automne de l’exposition sur le monde de James Bond qui a fait cet été le plein au musée Barbican de Londres. Mais il est aussi devenu un événement cinématographique majeur grâce à deux facteurs qu’il est sans aucun doute le seul à avoir su réunir aussi bien, sous la houlette de Piers Handling, qui préside avec brio de longue date à la destinée de l’ensemble de ses activités, assisté maintenant de Cameron Bailey à la direction artistique du Festival à proprement parler.

Le premier facteur de réussite est son côté non compétitif, qui lui permet d’attirer nombre de productions indépendantes, nord-américaines en particulier, qui n’auraient jamais pris le risque d’une compétition avec les aléas des jurys et de leurs compositions hétéroclites. Deux avantages en découlent ainsi, d’abord, la possibilité de présenter des films pas forcément complètement inédits, des « simples » premières nord-américains de films européens ou autres remarqués dans d’autres festivals par ses sélectionneurs par exemple. Le deuxième avantage est de donner ainsi une rampe de lancement à des films indépendants nord-américains qui y trouvent public, presse et professionnels. Ainsi, depuis nombre d’années, Toronto est-il devenu une rampe de lancement des Oscars. Cette année encore, parmi d’autres, Argo, le film de Ben Affleck inspiré par l’histoire authentique de la demi douzaine de diplomates américains qui ont réussi à échapper à la prise d’otage du personnel de l’ambassade du pays à Téhéran, du temps de Jimmy Carter, a ainsi pris ses marques de façon très nette à Toronto pour la compétition, comme The Artist l’avait fait l’an dernier, d’ailleurs. Il faut dire que Ben Affleck, qui s’est donné le rôle principal du film, tient le spectateur en haleine : sa mise en scène est nerveuse et précise, d’une grande efficacité, n’hésitant pas à utiliser tous les ressorts possibles pour cela (jusqu’à une boite de vitesse récalcitrante au tout dernier moment, qui semble empêcher pendant quelques seconde le départ du bus des fugitifs vers l’avion salvateur…). Un film qui s’est en outre révélé d’actualité, puisqu’au moment de sa projection, on manifestait, et hélas tuait, devant et dans plusieurs ambassades américaines au Moyen-Orient. Argo a d’ailleurs failli remporter le prix « Blackberry » du Public, arrivant très près du vainqueur, Silver Linings Playbook, de David O. Russell, un film aidé par la présence de Robert de Niro et de Bradley Cooper, surnommé depuis quelques temps outre-Atlantique le « nouveau Clooney ».

Le deuxième facteur de succès de Toronto réside justement dans cette présence d’un véritable public payant, un peu comme à Berlin – et contrairement à Cannes, où le public majoritairement formé de professionnels est ainsi moins représentatif de la réalité et sans aucun doute plus exigeant qu’un public « normal». Grâce à l’ouverture du Bell Lightbox et à l’utilisation de nombre de salles d’un énorme complexe cinématographique voisin, le Festival se dédouble en effet, une partie des salles n’accueillant que le public payant (avec quelques invités professionnels quand ils le demandent), et l’autre n’accueillant que les professionnels, sans les contraintes des précédentes (pas de queues, un accès rapide aux films). Du coup, les projections prennent l’aspect de « sneak-previews » grandeur nature et permettent ainsi de tester les films, et notamment ceux des productions « indépendantes » américaines ou les importations potentielles d’outremer aux yeux des professionnels présents. Ainsi, en 2012, si Passion de Brian de Palma, a été aussi mal accueilli à Toronto qu’il l’avait été à Venise, malgré la superbe prestation de Rachel Mc Adams, des œuvres comme le Spring Breakers de Harmony Korine, The Sessions, de Ben Lewin, ou The Paperboy de Lee Daniels – certains vus à Cannes et encore dans les cartons – ont montré par leur succès public aux 4280 professionnels en provenance de 80 pays présents qu’ils pouvaient envisager une sortie nord-américaine ou étrangère sereine malgré des aspects un peu difficiles ou provocateurs.

Cette année, le festival se divisa en une bagatelle de quinze sections différentes, présentant ainsi un éventail considérable. On pouvait certes y voir des films à grand public dans la section « Galas », où quasiment toutes les stars hollywoodiennes, de Tom Hanks à Will Smith, Robert Redford ou Helen Hunter, ou d’outremer, comme Monica Belucci ou Pierce Brosnan, passèrent un jour ou un autre. Mais, à l’autre extrême, il y avait les séances de minuit des films d’horreur ou de série B de la section « Midnight Madness » programmée par Colin Geddes, aux 1500 places remplies à craquer malgré l’heure tardive tous les soirs de spectateurs enthousiastes – et sympathiquement bruyants !

Quant au cinéma français, il eut la part belle à Toronto, avec pas moins de 24 films dans les différentes sections du festival, placés sous l’ombrelle d’Unifrance, dont la réception fut l’une des plus suivies des professionnels. Parmi eux, Dans la maison, de François Ozon, s’octroya le Prix Fipresci de la Critique Internationale de la section « Présentations spéciales » – le prix de la section « Discovery » allant à Call Girl, de l’Américain Mikael Marcimain.

Couronnement indispensable, enfin, pour les visiteurs comme pour les cinéastes « locaux », le festival est aussi une plate-forme de lancement inégalable pour les films canadiens, les seuls d’ailleurs à être placés sous la coupe d’un « vrai » jury, qui récompensa cette année de son prix « Sky Vodka » Antiviral, où Brandon Cronenberg prend la suite de son père David, avec une première œuvre dans le registre de la science-fiction, ex-aequo avec Blackbird, de Jason Buxton.

Philippe J. Maarek

Quand Dieu s’invite à la Mostra de Venise

Il flottait comme un léger air de mélancolie sur la 69ème Mostra de Venise. Pourtant, comme le projet d’un nouveau palais de festival a été apparemment enterré faute de moyens, le grand chantier qui défigurait le Lungomare a partiellement disparu laissant la place à une jolie promenade où il faisait bon se reposer entre les projections. Mais les alentours du festival paraissaient étrangement vides, attirant visiblement beaucoup moins de monde que les années précédentes. Créée il y a maintenant 80 ans, la Mostra qui marque cette année le retour d’Alberta Barbera comme directeur (il avait dirigé le festival de 1999 à 2002 avant d’être « débarqué » par le gouvernement Berlusconi), a certainement besoin d’un nouveau souffle si elle ne veut pas s’endormir sur sa lagune hors du temps. Mais la situation est difficile dans un pays plongé dans une crise dont il ne sortira pas sitôt et le marché du film, annoncé par Barbera comme une des nouveautés pour booster le festival est encore loin de tenir ses promesses. Enfin le spectre du puissant festival de Rome, qui se prépare sous l’égide de son prédécesseur plein de ressources, Marco Muller, semblait planer comme un ombre menaçante sur le Lido.

Est-ce l’air du temps ou la crise avec ses incertitudes et ses angoisses existentielles qui suscitent cette recherche de promesses de salut religieux et idéologiques et qui semblent gagner insidieusement non seulement notre société mais transforme également certains cinéastes en passeurs de messages spirituels plus ou moins douteux? Curieusement, cette année, le grand thème de la Mostra était la foi, (ou son absence!), servie à toutes les sauces religieuses et idéologiques, surtout dans les 18 films de la compétition internationale dont la plupart privilégiaient le contenu à la forme.

Au film d’ouverture The Reluctant Fundamentalist de Mira Naïr qui plaide pour une certaine compréhension envers la radicalisation islamiste des intellectuels séduit par l’Ouest mais finalement dégoûtés par le capitalisme (américain) exacerbé, répondait en écho d’un des pays théocratiques par excellence, l’Arabie saoudite, le premier film fort surprenant et courageux d’une autre femme, Wadja, d’Haifaa al Mansour, témoignant de l’enfermement forcé dans une réclusion totale des femmes.

Dans le glacial Paradis : Glaube ,deuxième partie de sa trilogie, le metteur en scène autrichien Ulrich Seidl invite le spectateur à accompagner son actrice fétiche Maria Hofstätter sur son chemin de croix de l’évangélisation auprès de populations viennoises vivant en marge de la société. Elle passe tout son temps libre en faisant du porte-à-porte avec une madone en bois sous le bras quand elle ne se flagelle pas jusqu’au sang agenouillée devant le crucifix de sa chambre, et un soir elle prend même le crucifix dans son lit. Promptement alertée par cette scène de masturbation pour le moins insolite, une organisation ultra-conservateur catholique avait immédiatement porté plainte pour blasphème contre Seidl, l’actrice, les producteurs et même le directeur du festival.

Le film de Marco Bellocchio Bella Addormentata nous replonge lui dans les polémiques qui avaient divisé l’Italie en 2009 autour de la mort d’Eluana Englaro dont l’assistance respiratoire avait été débranchée à la demande de son père et des médecins après 17 ans de coma. Les catholiques « intégristes » se sont rendus devant le palais du festival en brandissant des pancartes avec la photo d’Elena et de la Vierge et ont réclamé le retrait immédiat du film. Pourtant, ce film, un peu trop didactique et qui malheureusement noie son sujet dans des méandres sentimentaux d’ajouts fictionnels n’a rien d’un pamphlet provocateur mais s’efforce plutôt d’explorer la question de l’euthanasie sous tous ses angles.

L’un des films les plus attendus de la compétition, To the wonder, de Terence Malick, a laissé les spectateurs et même les fans de ses premières œuvres perplexes. Lors d’un voyage en France, Neil (Affleck, séduisant comme un morceau de bois sec), rencontre Marina (Kurylenko) et, après des déclarations d’amours en voix off alignant des platitudes affligeantes sur fond de la très photogénique Baie de Saint Michel, la ramène avec sa petite fille dans un « bled » perdu des plaines de l’ Oklahoma. Comme il fallait s’attendre, la vie quotidienne dans ce lotissement dépourvu de toute charme éteint assez rapidement l’amour passionnel qu’éprouve l’héroïne pour son amant monosyllabique et réticent à l’épouser. Marina plie bagage pour revenir quelques temps plus tard sans que l’on comprenne pourquoi, et ainsi de suite. Cerise sur le gâteau de cette rêverie pseudo -chrétienne exaspérante et frôlant souvent le ridicule c’est le personnage d’un prêtre (Javier Bardem) en proie à une sévère crise de foi qui erre sans arrêt à travers sa maison et les quartiers pauvres de sa banlieue pendant que l’on entend sa voix en off commentant ses doutes comme un bruit de fond jusqu’au jour où se produit le miracle ; il retrouve Jésus, qui, cette fois-ci, revient même en force vers lui. « Le Christ en moi, le Christ au dessus de moi, Le Christ en dessous de moi, Le Christ à ma droite, le Christ à ma gauche » jubile-t-il tandis que les palissades en bois qui entourent les maisons du lotissement s’éclairent lentement, illuminés par les rayons dorés du soleil levant.

Mais la compétition avait encore d’autres surprises divines dans son programme – notamment avec Lemale Et Ha’Chalal (Fill the Void) de Rama Burshtein (Israël), d’ailleurs le seul film en compétition réalisé par une femme. Sans distance critique aucune mais avec une maîtrise tout à fait louable, la réalisatrice met en scène la vie d’une communauté ultra-orthodoxe à Tel Aviv où une jeune fille est amenée par sa famille à accepter d’épouser le mari de sa soeur décédée afin que l’enfant du couple reste auprès de sa grand-mère. Bursthein, strictement vêtu selon les codes vestimentaires des haredi ultra-orthodoxes, livre dans le dossier de presse sa confession de foi et énonce les objectifs de son film « fidèle à la façon dont je vois le monde«  sans la moindre ambiguité . Que la réalisatrice puisse présenter en Israël ses films uniquement aux femmes de sa communauté d’où les hommes sont exclus des projections -soit. En revanche, on peut se poser la question de savoir si la compétition de la Mostra de Venise devait servir de plateforme pour faire l’éloge d’un monde où la femme n’est pas égale de l’homme, Reste aussi le mystère d’une intervention divine par laquelle le jury a cru bon d’honorer ce film en décernant le prix de la meilleur actrice à sa jeune protagoniste.

Heureusement, The Master de Paul Thomas Anderson nous livre une antidote aux rêveries fondamentalistes véhiculées dans certains films de cette compétition. Avec bravoure et une force créatrice d »image et narrative qui sort ce film du lot, Anderson présente, sans la nommer explicitement , la vie d’un fondateur de secte au début des années 50 (dans laquelle on pourrait reconnaître Ron Hubbard , père de l’Eglise scientologique). Ce Dodd (merveilleusement incarné par Philip Seymour Hofmann) auteur charismatique et despotique, séducteur et manipulateur, porté sur les boissons fortes s’est inventé une nouvelle forme de croyance fondée sur un mélange de philosophies, de religions et de thérapies plus ou moins obscures comme le voyage dans le temps, qui rassemble autour de lui de plus en plus d’adeptes. Mais l’idée géniale d’Anderson est de non pas de raconter cette histoire en forme de biopic mais à travers un autre personnage fictionnel, celui du vétéran de guerre ultra violent , Freddy, (Joaquin Phoenix en sparring partner cogénial) profondément traumatisé par la guerre au Pacifique. Entre ces deux personnages aux caractères forts et diamétralement opposés s’établit une relation ambigüe de maitre-élève voire même de père-fils. Mais Dodd, face à l’impossibilité de maîtriser la violence de Freddie, lui redonne en quelque sorte sa liberté. Sans prendre position, Anderson nous amène au centre du monde clos d’une secte en démontrant les mécanismes de la soumission, tout en laissant une petite porte ouverte par laquelle Freddie réussira peut-être un jour à s’échapper.

Dans un tout autre registre , Kim Ki-Duk plonge ses fans avec Pieta une fois de plus dans la descente aux enfers d’une histoire de crime, châtiment et rédemption – parcours cher au christianisme, mais ici avec une radicalité et une cruauté visuelle qui dépasse par moments la limite de l’insupportable.

Mais c’est finalement The Fifth Season, film d’une force et d’une beauté visuelles absolument saisissantes du couple Jessica Woodworth et Peter Brosens, qui nous mène impitoyablement vers une apocalypse païenne qui, ici, se prépare lentement sur les terres lourdes d’un village au fin fond des Ardennes. Ce film complètement à part qui raconte une histoire d’évolution humaine à reculons où la bêtise, la cruauté et la méchanceté des hommes sont punies par une nature de plus en plus déchainée au fur à mesure que la violence entre les habitants dégénère n’est pas sans évoquer certains tableaux de Breughel.

Heureusement Olivier Assayas nous ramène vers la vie avec l’un des plus beaux films de la Mostra : Après Mai, un hommage aux années 70 à travers les aventures politiques de jeunes lycéens d’une banlieue de Paris. Ce film d’une intelligence, d’une luminosité et d’une tendresse salutaire dans l’évocation un brin nostalgique mais sans aucune fausse sentimentalité d’une époque qui aujourd’hui paraît plus lointaine qu’elle ne l’est réellement, est joué par huit jeunes acteurs et actrices de moins de vingt ans qui se glissent admirablement dans la peau de ces jeunes qui rêvaient de révolution, roulaient en bus Volkswagen, s’aimaient et se séparaient sur fond de discussions politiques incessantes, animés par des questionnements sur la façon de rendre le monde meilleur.

Barbara Lorey de Lacharrière

Prix Fipresci :

The Master de Paul Thomas Anderson (USA)

Orizzonti et Settimana Internazionale della Critica

L’intervallo de Leonardo Di Costanzo(Italie)

Un franc succès pour le 62° festival de Berlin

La 62ème édition de la Berlinale aura été un net succès, aussi bien du côté du public quedeceluidesprofessionnels. Seul reproche, sans doute, mais on ne peut pas le mettre du côté des organisateurs, un palmarès un tant soit peu timide et donnant légèrement l’impression d’avoir mélangé les récompenses!

Le jury présidé par Mike Leigh a en effet choisi de donner sa récompense suprême, l’Ours d’Or tant convoité, à Paolo et Vittorio Taviani pour leur Cesare deve morire, une allégorie transposant l’histoire mythique du héros de la Rome antique dans une prison d’aujourd’hui. Film maîtrisé, incontestablement, mais que l’on n’attendait pas si haut. Plus surprenant fut le chassé-croisé qui vit donner au réalisateur allemand Christian Petzold l’Ours d’Argent de la meilleure réalisation pour son Barbara, à la mise en scène de qualité, certes, mais dont l’atout le plus fort était l’interprétation de la grande actrice qu’est Nina Hoss, remarquable d’expression dans une retenue apparente, alors que l’Ours d’Argent de la meilleure actrice alla à Rachel Mwanza pour Rebelle, du canadien Kim Nguyen, que l’on attendait plutôt pour un Grand Prix ou un Prix Spécial… Enfin, Tabu, le film du portugais qui obtint le Prix Fipresci de la Critique Internationale fut « sauvé » in extremis en quelque sorte par le Prix Alfred Bauer, alors qu’on l’attendait plus haut. Mais il est vrai que quasiment tous les palmarès peuvent être discutés et rediscutés, et sont les fruits de compromis entre les jurés, qui seraient sans doute différents si un seul juré, parfois, changeait!

Le succès du 62e Festival de Berlin, en tous cas, c’est d’abord et avant tout un succès public, puisqu’il s’agit d’un des deux festivals de première importance au monde à être aussi ouvert au grand public avec celui de Toronto. Malgré un froid quasiment sibérien (il fit jusqu’à -20° Celsius la veille du premier jour du Festival), la popularité de la Berlinale ne s’est pas démentie cette année, avec la bagatelle de 250.000 billets vendus. L’ouverture d’une nouvelle salle, tout simplement baptisée « Haus der Berliner Festspiele » (La Maison des Festivals Berlinois) fut à cet égard bienvenue, venant après l’accès de la belle grande salle traditionnelle duFriedriechstadt Palast l’an dernier, permettant ainsi aux journalistes et accrédités de côtoyer plus facilement le public qu’auparavant (et en attendant la réouverture du ZooPalast, la salle mythique des premières années du Festival).

Mais le Festival de Berlin, ce n’est pas seulement la compétition officielle menée par Dieter Kosslick, son Directeur, dont le succès a d’ailleurs permis un renouvellement du contrat cette année, mais aussi deux grandes sections non compétitives importantes. La section « Panorama », dirigée par Wieland Speck, correspond en quelque sorte au « Certain Regard » de Cannes. Indignez-vous, de Tony Gatliff, y fut notamment remarqué. Quant au « Forum International du Jeune Cinéma », dirigé par Christoph Terhechte, il représente une version exigeante des sections dites « parallèles » cannoises. Le public berlinois y fut aussi fort présent, et nombre de ces films profitèrent de la synergie avec le Marché du Film berlinois, pour leur promotion et leur vente dans les circuits d’art et d’essai du monde entier.

Signe peut-être de fin de la crise économique, le Marché du Film berlinois, toujours dirigé de main de maître par Beki Probst, fut plein à craquer, avec plus de 2000 professionnels accrédités qui profitèrent de pas moins de 35 salles de projection qui leur étaient réservées. Il a ainsi largement confirmé sa place de premier grand rendez-vous de l’année des acheteurs et vendeurs de films du monde entier. Le grand stand Unifrance y a pris une nouvelle organisation, avec un espace paysagé bien plus attractif que les loggias un peu refermées sur elles-mêmes des années précédentes. Pour la première fois de longue date, une place importante fut prise au Marché par les « indépendants » américains, qui avaient un peu déserté Berlin ces dernières années – à l’inverse des studios – et des stars – hollywoodiens, bien moins présents à Berlin cette année que d’habitude, mis à part le très fort film de Stephen Daldry, Extrêmement Fort et Extrêmement proche, d’ailleurs présenté hors compétition seulement.

Rappelons enfin que Berlin, c’est aussi une multiplicité de sections « spécialisées » parallèles qui semblent sortir d’année en année du chapeau de l’imaginatif Dieter Kosslick! Ainsi, outre la récente section « Géneration », qui remplace en partie l’ancienne section des film pour enfants du Festival, la section « Cinéma culinaire », où un repas suit les projections (!), et l’importante opération « Talent Campus », la Berlinale a annoncé cette année la création d’une « résidence », qu’on peut comparer sans doute à la déjà bien implantée opération cannoise similaire. Du coup, la section « rétrospective », qui fêta le centenaire des célèbres studios de Babelsberg parut bien « classique », en quelque sorte, mais apporta un coup d’œil rétrospectif pas inutile.

Comme à l’accoutumée, de nombreux autres événements se déroulèrent en marge du Festival, comme l’opération « Shooting Stars » de « European Film Promotion », l’organisme de promotion du cinéma européen à l’étranger, ou la remise des « Teddy awards » pour faire honneur à la tradition gay et lesbienne d’une ville dont la « Gay Pride » constitue l’un des temps forts de l’année!

Philippe J. Maarek

San Sebastian se réveille!

Pour sa 59ème édition, le festival de San Sebastian s’est soudain réveillé : meilleure programmation, des séances quasi complètes et un palmarès qui décoiffe ! Si ces derniers temps la sélection ronronnait en terre basque, cette année la qualité était au programme et le public a répondu présent avec un bel enthousiasme. Pratiquement toutes les séances, de presse, de gala, au Vélodrome avec le public ou au Kursaal avec les invités, étaient complètes. Dans la sélection officielle, un beau mélange de réalisateurs confirmés et de jeunes talents, de films espagnols et asiatiques, de genres, du polar à la comédie.

Parmi les bonnes surprises, le nouveau film de Sarah Poley, Take this Waltz, un marivaudage très contemporain où le corps est complètement refoulé (ou en dépôt à la cuisine), laissant les sentiments et les trahisons se faire et se défaire en pensée… A l’opposé, la Madame Bovary d’Arturo Ripstein est plus charnelle, toujours dépressive et tout aussi mauvaise mère (elle nourrit sa fille chez Macdo) : Le Cœur a ses raisons, un huis-clos oppressant, serré, avec une remarquable mise en scène. Déception en revanche avec Amen de Kim Ki-duk qui filme ses souvenirs de vacances en Europe et nous les livres un peu bâclés.

Autre surprise, le rire est venu avec deux films français. Le Skylab où les vacances très franchouillardes de Julie Delpy ont emporté toutes les salles mais comme le disait un critique argentin hilare en sortant de la projection de presse, « les années 70, c’était les années 70 partout » ! Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache était présenté en clôture et a su autant émouvoir que faire rire, avec la rencontre d’un handicapé très riche et d’un grand mec cool un peu racaille, un moment de bonheur dans la grande salle du Kursaal.

Enfin dernière surprise, et de taille, un palmarès ébouriffant. La « Concha d’or » a été attribuée à Los Pasos dobles d’Isaki Lacuesta (Espagne/Suisse), un film qui n’avait même pas retenu l’attention des amateurs de pronostics. Le jeune réalisateur espagnol laisse ses personnages partir à la recherche des traces d’un peintre au pays Dogon. Rarement la notion très particulière du sacré, du mystère et du rôle très particulier de la nature et des ancêtres dans les sociétés africaines, n’a été aussi bien mise en images. On comprend pourtant que ce soit déroutant pour le grand public. Pratiquement tous les autres prix décernés par le jury présidé par l’actrice Frances Mc Dormes, ont été aussi déroutant pour le public.

Pour le prix du public, jusqu’au bout, la bataille a été serrée entre Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki et Une Séparation d’Asgar Faradhi mais le dernier jour, c’est The Artist de Michel Hazanivicius qui a fait le raz de marée dans le cœur des spectateurs, avec un taux de satisfaction quasi unanime. Du côté des prix parallèle, pas de grande surprise en revanche. La Fipresci a récompensé le très « fiprescien » Sangue de meu sangue, du réalisateur portugais Jaõa Canijo ; les associations LTGB, Albert Knobs de Rodrigo Garcias, où Glenn Close interprète une femme parfaitement dissimulée sous un habit de maître d’hôtel dans un établissement très chic de l’Irlande du 19ème siècle. Enfin, le jury Signis a choisi le nouveau film de Hirokazu Kore-Eda justement intitulé Miracle.

Magali Van Reeth

Un 8° Abricot d’or goûteux à Erevan!

Le 8ème Festival international du film d’Erévan, s’est tenu en Arménie du 11 au 17 juillet. Cette manifestation est appelée Abricot d’or, en hommage au fruit si goûteux dont c’est la pleine saison en ce début d’été.

Le Festival, c’est l’occasion unique de voir en Arménie le meilleur du cinéma contemporain. The Tree of Life de Terence Malick, Copie conforme d’Abbas Kiarostami, Melancholia de Lars Von Trier, Pina de Wim Wenders, Le Cheval de Turin de Bela Tar ou Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan ont été projeté devant un public très jeune et avide de cinéma qui a envahit les salles de projection du Palais Moscou. Il est vrai qu’Erévan ne compte plus qu’une seule salle commerciale. Bela Tar, Abbas Kiarostami et Nuri Bilge Ceylan sont venus présenter leurs films et répondre aux nombreuses questions du public. Dans la compétition internationale, Une Séparation d’Asghar Faradi qui a remporté la récompense la plus prestigieuse, l’Abricot d’or. Le réalisateur iranien n’a pas pu, pour des raisons politiques, venir recevoir ce prix.

La sélection arménienne a permis aux nombreux participants de découvrir la richesse artistique de ce pays dont la culture est millénaire et l’histoire dramatique. Le génocide de 1915 et les relations douloureuses avec la Turquie sont souvent au cœur des documentaires et donnent aux films de fiction une intensité particulière.

Une rétrospective des films de Dmitry Kesayants (1931/2001) a permis de découvrir ses films les plus anciens, dont Le Maître et le serviteur (1962) ou Le Roi Chakh-Chakh (1969) et de voir que la critique du régime soviétique peut s’exprimer sous forme de fables en apparence inoffensives.

Mais le film du réalisateur américain Brandon King, Here, entièrement tourné en Arménie, a dérouté les spectateurs. C’est l’histoire d’une rencontre amoureuse entre un géographe américain, chargé de cartographier l’Arménie, et une jeune photographe arménienne, qui parcourent ensemble le pays. Si les spectateurs arméniens ont savouré la beauté des paysages, ils ont eu du mal à accepter que le rôle principal soit confié à une non-arménienne, en l’occurrence Lubna Azabal (pourtant remarquable quand on ne parle pas couramment arménien…) et se sont plus attachés à repérer les erreurs que les partis-pris artistiques ou techniques.

Heureusement, d’autres films ont su gagner le cœur du public. Que ce soit des films de fiction, comme Lever de soleil sur le lac Van d’Artak Igityan et Vahan Stepanyan, évoquant avec finesse et humour la transmission de l’âme et de l’histoire arménienne entre un survivant du génocide et ses enfants et petits-enfants vivants à l’étranger. Ou documentaire comme Le Dernier hippy de la ville rose d’Anastasia Popova qui a permis d’évoquer le travail foisonnant de Robert Sahakyants, dessinateur et auteur de plusieurs films d’animation

Les pays de la CEI (états indépendants de l’ex Union soviétiques), pour fêter leurs 20 ans d’indépendance, avaient une sélection particulière, occasion unique de voir des films du Kazakhstan, Biélorussie, Tadjikistan, Moldavie ou Ouzbékistan et d’admirer la façon dont les cinéastes locaux utilisent la grammaire universelle du cinéma pour dire leurs préoccupations et leurs espérances. Enfin, pour la première fois cette année, le Festival accueillait une compétition de court-métrages. C’est Glasgow de Piotr Subbotko (Pologne) qui a été récompensé.

Magali Van Reeth

Le boom du cinéma d’animation: Annecy 2011

Le 51ème Festival international du Film d’animation, qui s’est tenu sur les bords du lac d’Annecy du 6 au 11 juin dernier, a confirmé l’extraordinaire boom du cinéma d’animation.

Etudiants, producteurs, fans, patrons de studios et réalisateurs – entre autres, Bill Plympton (L’impitoyable lune de miel) et Carlos Saldanha (Rio) : ils étaient tous venus fêter la belle santé d’un genre qui représentait en France 30,24 millions d’entrées en 2010.

Outre la compétition officielle, particulièrement complète avec 180 films sélectionnés parmi près de 2000 candidats (tous formats et toutes nationalités confondus), le festival a pu une nouvelle fois mesurer son succès à la fréquentation de son marché : 450 exposants et 238 acheteurs pour cette édition 2011.

Le Jury Fipresci, qui s’est concentré cette année sur la compétition des courts et des longs métrages, a décerné son prix à Luminaris, un court métrage argentin signé Juan Pablo Zaramella, dont le charme et l’ingéniosité ont également été récompensés du Prix du Public.

Mais le succès du festival d’Annecy, ce sont aussi ses avant premières (entre autres le très ambitieux Prodigies d’Antoine Charreyon) et ses cessions de « Work in Progress », qui permettent de mesurer l’avancée de projets en cours de production. Cette année ont ainsi été dévoilées les premières images de La mécanique du cœur, des Français Mathias Malzieu et Stéphane Berla, et du très attendu Albator – Le corsaire de l’espace, adaptation 3D de la série culte, dont le premier trailer a été présenté en avant-première mondiale et en présence du créateur du dessin animé original, Leiji Matsumoto.

Notons enfin le dernier atout de ce festival extrêmement chaleureux : il n’oublie pas le grand public ! Chaque soir, des projections en plein air ont réuni en moyenne 5000 spectateurs conquis…

Mathilde Lorit

Le 32e Festival de La Havane

Le 32ème Festival International du Nouveau Cinéma Américain de La Havane a présenté 199 longs métrages et 194 courts, de tous les pays d’Amérique Latine, de l’Argentine au Venezuela, dans 15 salles.

Le Jury de la Fipresci a donné son prix à Post Mortem de Pablo Larrain, une coproduction entre le Chili, le Mexique et l’Allemagne. Il a motivé son prix en qualifiant Post Mortem de « film envoûtant tout en étant également une métaphore pour une société décadente et répressive, aspirant à la dictature » (le Chili avant le coup).

Le réalisateur y a créé un monde fantomatique. L’acteur principal, Alfredo Casto, joue le rôle d’un assistant à la morgue qui semble avoir été aspergé de cendre blanche, un peu comme une vision post mortem de Buster Keaton. Il devient humain très brièvement, en tombant amoureux de sa voisine. Puis les tanks entrent en scène, et l’on découvre le corps meurtri d’Allende dans les décombres.

Le jury « principal » du Festival a décerné neuf prix, dont deux pour Post-Mortem qui a été le dauphin du Grand Prix, La Vida Util, de l’uruguayen Federico Veiroj.

Le film cubain le plus récompensé, toutes sections confondues, a été Jose Marti: El Ojo del Canario, de Fernando Perez Valdes, sur l’émergence du héros de la Révolution cubaine.

Le festival comprenait une section dédiée aux films venant de « Latinos » vivant aux Etats-Unis, souvent à propose de leurs difficulté d’y vivre, aussi bien que des films de non Latinos, comme le documentaire » de Saul Landau qui a eu un Emmy, Will the Real Terrorist Please Stand Up. Il y avait également des rétrospectives montrant des films noirs et d’horreur.

Oppression et révolution, avec le thème sous-jacent du désordre dans la société, étaient présents dans de nombreux films, comme La Mirada Invisible, de l’argentin Diego Lerman. L’ombre de Perón rode au-dessus d’une école dont le directeur demande à une jeune enseignante d’espionner les élèves.

Plusieurs films abordaient la question de la maltraitance des enfants dont Boleto Al Pa-iaiso, du cubain Geraldo Chijona, un film très aimé du public, à propos d’une jeune fille qui s’échappe de sa maison après que son père l’a violée. Elle se joint à un gang d’enfants sans domicile, vivant dans la drogue, le sex, le rock’n roll et pour finir avec le SIDA. Une sorte différente d’exil est décrite dans Larga Distancia, du cubain Estéban Insauti, qui traite des artistes de son pays pris entre deux mondes, une société en souffrance chez eux et un monde décadent ailleurs. De la Infancia, du mexicain Carlos Carrera Gonzalez, montre une famille terrorisée par un père violent sans foi ni loi. Quant à l’argentin Anahi Berneri, il dépeint dans Por Tu Culpa une mère frustrée, enfermée dans le monde moderne, qui est accusée d’avoir violenté ses enfants en bas âge.

Plusieurs films de femmes étaient en compétition, à commencer par Jean Gentil, de Laura melia Guzman, un film tourné en Créole et en Espagnol à propos d’un Haïtien en exil. Mais le film traitant des femmes le plus fort fut sans doute Los Labios, de Santiago Loza et Ivan Fund: trois travailleuses sociales traversent une Argentine où la détresse règne à l’extrême et finissent par y perdre leur identité.

Le public de La Havane fut extrêmement attentif, et nous avons senti que la forte fréquentation, les réactions vives aux scènes dramatiques montrées à l’écran apparaissaient un peu comme un exutoire à la situation locale, peut-être une forme de protestation, en tous cas un soutien au cinéma. En effet, le Festival est un moment important de l’année à La Havane, une ville où les enseignants suspendent leurs cours afin que les étudiants puissent aller au cinéma, et le public peut y voir des films qui leur parlent d’eux-même.

Joan Dupont

Photo: le Jury de la Fipresci à La Havane, (de g. à dr.) Ernesto Aguirre, Joan Dupont, la Présidente du Jury, Maja Bogojevic, Pedro Noa, Mario Abbade

Le Festival de Toronto à son apogée!

D’année en année, le Festival de Toronto sait prendre avec une aisance remarquable une ampleur qui semble bien en faire maintenant l’un des deux plus importants rendez-vous du cinéma mondial avec Cannes. Avec l’ouverture cette année de son quartier général, Bell Lightbox, le Festival a pris en outre en 2010 une nouvelle figure, regroupant avec bonheur l’essentiel de ses activités dans le même quartier de la ville (voir par ailleurs)

Grâce à son éclectisme, sur lequel veille de longue date Piers Handling, maintenant aidé à la codirection du Festival par Cameron Bailey, le Festival de Toronto est en effet parvenu à présenter au début de chaque automne la quintessence du cinéma mondial d’auteur, tout en parvenant à conserver les faveurs du cinéma hollywoodien… et de ses stars, ce qui en fait aussi l’attrait.

Cette année, parmi les 339 films, en provenance de 59 pays (dont 258 longs métrages) projetés dans une vingtaine de sections, on pouvait y découvrir des films hollywoodiens en avant-première comme The Town, de Ben Affleck, ou The Conspirator, de Robert Redford, dans la section « Gala », qui attire tous les soirs stars, paillettes et photographes – et où la Potiche de François Ozon fut fort bien accueillie. Mais le Festival comprend aussi des parties moins directement tournées vers le grand public, comme la section « Discovery » où l’on projetait par exemple Notre Etrangère, le film Franco-Burkinabé de Sarah Bouyain avec Dorylia Calmel et Nathalie Richard ou Attenberg, le film de la grecque Athina Rachel Tsangari qui avait été l’une des révélations du Festival de Venise, quelques jours auparavant. Même les amateurs de cinéma fantastique ou marginal trouvent leur bonheur à Toronto avec la section « Midnight Madness » (Folie de Minuit), qui accueillait notamment en 2010 le grand retour de John Carpenter, le réalisateur du Halloween originel, avec The Ward.


L’explication de cette réussite à tous les niveaux tient sans doute au caractère non compétitif du Festival et à son éclectisme corollaire, puisque ses programmateurs, du coup, ne s’interdisent aucun film. Cette réussite tient aussi incontestablement à la présence d’un public passionné. Le Festival est en effet ouvert au grand public, contrairement à la plupart de ses homologues (et en particulier avec Cannes), et les acheteurs et vendeurs professionnels de films du monde entier ont appris à apprécier le grand naturel qui s’ensuit de l’accueil fait à leurs films.

La seule récompenses « officielle » importante données durant le Festival est d’ailleurs le Grand Prix Cadillac du Public, décerné cette année à The King’s speech, du britannique Tom Hooper. Colin Firth y interprète magistralement le Roi George VI d’Angleterre au moment de son accession inattendue au trône, à la suite de l’abdication d’Edouard VIII, son frère aîné. On notera que la Fipresci décerne également son Prix de la Critique Internationale lors du Festival, qui est revenu à l’Américain Swan Ku pour Beautiful boy.

Les producteurs et vendeurs français ont maintenant bien compris l’importance du Festival de Toronto: l’essentiel des nouveautés du moment en France fut présenté dans les différentes sections du festival. L’élégante réception organisée par Unifrance permit à nos professionnels de faire honneur à près de 300 de leurs homologues étrangers, leurs clients, en somme! De même, European Film Production, l’organisme de promotion du cinéma européen, organisa pour les professionnels européens deux événements fort courus, dont une initiative directement destinée à aider les coproductions entre l’Europe et le Canada, « Producers Lab Toronto« : trois jours d’échanges intensifs juste avant le Festival entre douze producteurs européens triés sur le volet et douze canadiens. Le cinéma, c’est aussi ça!

Philippe J. Maarek

BELL LIGHTBOX: CINQ ETAGES DE REVE POUR LE CINEMA A TORONTO

Après dix années, le rêve de Piers Handling, le PDG du Festival de Toronto et de Michelle Maheux, la Directrice Exécutive, s’est enfin réalisé: un superbe bâtiment de cinq étages flambant neuf , le « Bell Lightbox » (La Boite à Lumière de Bell) à peine terminé est devenu pour la première fois le quartier général du Festival. Il s’agit tout simplement du plus important bâtiment consacré au cinéma au monde, semble-t-il.

Grâce au départ à la donation d’un terrain en plein centre ville par la famille canadienne Reitman (les cinéastes Ivan – SOS Fantômes – et Jason – In the Air) – l’équipe du Festival a pu lever en une dizaine d’années et malgré la crise économique plus de 190 millions de dollars canadiens pour édifier un édifice permanent qui lui permet maintenant de poursuivre avec cohérence tout au long de l’année l’ensemble de ses activités: c’est-à-dire, au-delà du Festival annuel, la programmation d’une Cinémathèque, d’un festival de films pour enfants (Sprockets), etc.

Sur les cinq étages de Bell Lightbox, on trouve cinq salles de cinéma ouvertes au public tout au long de l’année, dont une grande de 550 sièges, deux galeries pour des expositions sur le cinéma, trois studios de montage et d’apprentissage, et, pour l’accueil du public, trois restaurants ou cafés, sans compter évidemment les bureaux du Festival et de ses autres manifestations. La première d’entre elles, destinée, cette fois, aux Torontois cinéphiles, Essential Cinema, leur présente les cent films jugés les plus importants de l’histoire du cinéma mondial par l’équipe des programmateurs du Festival, et a ouvert ses portes à peine le Festival terminé!

P.J.M.

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