Un beau dernier Festival de Toronto pour Piers Handling !

La 43e édition du Festival International du Film de Toronto était particulièrement attendue, puisque son directeur depuis 1994, Piers Handling, avait annoncé en 2017 que ce serait son dernier à sa tête. Ce fut, en vérité, un chant du cygne fort réussi, avec une manifestation ouverte à toute l’étendue du spectre du cinéma mondial tout en sachant se focaliser sur l’essentiel.

2016 Toronto International Film Festival - "The Magnificent Seven" Premiere - ArrivalsDès 2017, Piers Handling, accompagné par son directeur artistique et futur co-directeur de la manifestation, Cameron Bailey, avait en effet entamé une intelligente évolution du festival qu’il a poursuivi avec constance cette année. Cette évolution a suivi deux directions : une internationalisation du festival plus accentuée et une concentration sur un nombre plus restreint de films. L’internationalisation du festival, tout d’abord, a été la plus forte de son histoire, semble-t-il, puisque pas moins de 83 pays différents étaient représentés dans ses diverses sections. Quant à la réduction du nombre de films décidée il y a un an, elle a été volontairement maintenue, puisque l’on en est resté à 256 longs métrages, à peu près comme en 2017, au lieu des 296 longs métrages de2016 – sur près de 8000 proposés aux sélectionneurs cette année, soit 800 de plus que l’an dernier !

Deux autres caractéristiques fortes sont aussi à mettre à l’actif du millésime 2018 du festival : la diversification et l’ouverture, avec l’intégration sans heurts de Netflix et autres.

La diversification, tout d’abord, montre à quel point Toronto a su rester en phase avec la société actuelle, mobilisée partout dans le monde par le mouvement « Me Too ». 34% des films présentés au TIFF 2018 étaient en effet dirigées par des femmes, un mouvement déjà engagé l’an dernier, d’ailleurs (33%), avant même que l’affaire Weinstein ne survienne. Alors que plusieurs autres festivals majeurs du calendrier mondial ne présentent qu’un nombre homéopathique de films dirigés par des femmes, cela prouve bien que ces films existent dès lors qu’on veut bien se donner la peine de les trouver, mais aussi de les mettre en valeur.  High life de Claire Denis, qui représentait la France en Gala, fut par exemple l’un des films les plus courus, et le festival n’hésita pas à organiser des projections supplémentaires destinées à la presse et l’industrie, devant son succès.

La diversification, ce fut également l’invitation pour la première fois de près de 200 journalistes spécialement choisis pour leur diversité (genre, médias, nationalité…) pour signifier ce tournant pris par le festival.

KingL’ouverture, enfin, se manifesta par l’acceptation sans heurts des productions Netflix, qui permit au public et aux professionnels d’avoir ainsi un aperçu de tout le spectre de la production mondiale, sans exceptions, à commencer par le film d’ouverture, Outlaw King, de David Mackenzie. Il retrace, certes de façon assez conventionnelle, le parcours difficile du roi d’Ecosse au Moyen-Age Robert Bruce, qui avait réussi à chasser de son pays l’envahisseur anglais après moult péripéties, en un véritable road-movie anachronique à travers les beaux paysages écossais bien mis en valeur. Bien évidemment, cette ouverture à Netflix bénéficia en tout premier à Roma, d’Alfonso Cuarón, qui venait d’obtenir le Lion d’Or à Venise. Ce beau film en noir et blanc qui suit avec minutie et délicatesse dans toutes ses activités les plus prosaïques les pas d’une petite bonne venue d’un village perdu du Mexique pour travailler dans une famille bourgeoise de Mexico dans les années 1970 recueillit une « standing ovation » du public du beau cinéma « Princess of Wales » lors de sa projection publique.

Malgré le mauvais temps certains jours, le public local répondit très nombreux à la programmation et se pressa comme jamais dans des queues interminables et stoïques, tant est forte sa ferveur de voir un cinéma qui lui est autrement invisible. Ainsi, les professionnels nord-américains bénéficient-ils d’une véritable « sneak-preview », d’une projection-test grandeur nature, et ceux du monde entier d’une plate-forme utile pour les ventes internationales de leur film, du fait de la présence d’un public très positif.

DESTROYERLe festival a d’ailleurs su garder un coté didactique et bon enfant que l’on a bien oublié dans la plupart des autres grandes manifestations internationales en proposant très souvent au public payant de rester dans la salle, parfois près de 30 minutes après la fin de la projection, pour des séances de questions-réponses ouvertes avec l’équipe du film. Il fallait ainsi écouter la belle qualité des échanges entre la salle et Karyn Kusama et Nicole Kidman après la projection de Destroyer, un film où la star méconnaissable, enlaidie à souhait dans un rôle de policière psychologiquement détruite par la mort de son partenaire et amant, donne une prestation qui devrait la mettre dans la liste des « Oscarisables » de l’année – Oscars pour lesquels Toronto est devenu l’une des principales rampes de lancement.

L’ouverture sur la ville et ses habitants se manifesta également lors de la piétonisation devenue rituelle de la rue qui borde le quartier général du Festival, le « Bell Lightbox », durant le premier week-end de la manifestation. Concerts gratuits, distribution de cadeaux en tous genres, « food-trucks » à foison, donnaient une belle ambiance à une rue Royale (« King Street ») joliment livrée au peuple de Toronto.

Les quelques prix d’un festival… non compétitif

Bien que le festival ne soit officiellement pas compétitif, ce qui lui donne l’accès à nombre de productions qui refusent les aléas des jurys, quelques prix y sont tout de même décernés, à des titres divers.

Le plus suivi est bien sûr le prix Grolsch du public. Il revint au Green Book, de Peter Farrelly, où Viggo Mortensen est en quelque sorte le « Bodyguard » de Mahershala Ali, en musicien noir devant faire une tournée dans le sud ségrégationniste des Etats-Unis en 1962. Il y a aussi maintenant un prix Grolsch du public de la section « Folies de minuit » (« Midnight Madness »), que reçut The Man who feels no pain de Vasa Bala et un prix Grolsch du documentaire qui fut attribué à Free Solo, de E. Chai Casarhelyi et Jimmy Chin.

FirefliesParmi les autres prix, on remarquera tout particulièrement le Prix Canadian Goose du meilleur film de fiction canadien décerné à La Disparition des Lucioles, film attentif et sobre du québécois Sébastien Pilote. Dans cet anti-Lolita, en quelque sorte, ce dernier parvient à renouveler le sujet classique de l’arrivée à maturité d’une adolescente. La jeune actrice Karelle Tremblay y offre avec qualité une répartie attachante à Pierre-Luc Brillant, acteur et musicien de talent, tout de retenue dans le rôle d’un adulte devenu l’objet d’une affection pudique qui n’est jamais malsaine.

On signalera également le Prix FIPRESCI de la Critique Internationale, qui revint, au sein de la section « Discovery », à Float like a Butterfly, de l’irlandaise Carmel Winters, et le Prix Air France de la section Platform dont la compagnie était le sponsor officiel pour la deuxième année, qui échut à Cities of Last Things, du réalisateur de Malaisie Wi Ding Ho. On décerna aussi pour la première fois un prix Eurimage-Audentia de la meilleure réalisatrice, qui revint à l’Israélo-Ethiopienne Aäläm-Wärqe Davidian pour Fig Tree.

Parmi les autres films les plus courus par le public torontois, on notera évidemment Fahrenheit 9/11, le nouveau semi-documentaire un tant soit peu décousu, comme à l’ordinaire, de Michael Moore. Il s’agit à la fois d’une intelligente introspection sur le mauvais sort fait par les États-Unis à certains de leurs citoyens les plus pauvres, comme à Flint, dans le Michigan, où l’on a sciemment alimenté les habitants en eau non potable pour faire des économies, et d’une tirade parfois maladroite et un peu confuse contre Donald Trump. On se pressa aussi aux projections de First Man, le nouveau film du réalisateur de La La Land, Damien Chazelle, qui retrace les pas de Neil Amstrong, de la Terre à la Lune, à celles des Frères Sisters, de Jacques Audiard, et à celles du remake fort remarqué de A star is born par Bradley Cooper, passé de l’autre côté de la caméra, où il partage la vedette avec Lady Gaga, encensée pour sa première prestation à l’écran.

Les professionnels en masse le premier week-end

Comme on en a maintenant l’habitude, c’est surtout le premier week-end que bruissa d’activité le lieu de rendez-vous des professionnels, l’hôtel Hyatt qui jouxte le quartier général du festival, le « Bell Lightbox ». Ils y trouvaient une bibliothèque de visionnement direct de nombreux films et les stands de nombreux organismes de promotion du cinéma. On y voyait en particulier Unifrance, bien sûr, l’organisme de défense du cinéma français, et « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma. Maintenant dirigé par Sonja Heinen,  l’action à long terme de l’EFP s’est traduite par la présence à Toronto de pas moins de 53 longs métrages produits par 52 producteurs découverts au fil des années par ses opérations « Producers on the move » et 30 acteurs promus dans ses opérations « European Shooting Stars ».

Il reste maintenant à Cameron Bailey à prendre le relais, en compagnie également de sa nouvelle co-directrice, Joana Vicente, ancienne directrice de l’Independant Film Project, qui aura la tâche difficile de remplacer dans le courant de 2019 la directrice exécutive du festival, Michèle Maheux. Celle-ci a su efficacement accompagner et compléter le travail de Piers Handling durant les près de trois décades de leur beau parcours à la tête de ce qui n’était initialement qu’un « Festival des Festivals » sans grande ambition, et est maintenant devenu l’un des quatre plus grands rendez-vous du cinéma mondial, avec Berlin, Cannes et Venise.

Philippe J. Maarek

 

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