Toronto 2022
Après deux éditions de format réduit du fait de la pandémie COVID-19, la 47° édition du Festival International de Toronto (TIFF, pour les habitués de l’acronyme anglais) aura été celle du retour à la normale de la manifestation. Réduit à une version minimale en 2020, limité du fait des restrictions de voyage à une dimension locale en 2021, le Festival a retrouvé en 2022 ses habitués du monde international du cinéma… et ses belles salles, qu’il s’agisse du Scotiabank si pratique pour les professionnels ou du Royal Alexandra et des autres immenses salles des projections publiques.
Cameron Bailey, maintenant en charge de toutes les manettes de la manifestation, puisqu’il en est maintenant devenu le seul dirigeant, le CEO, « Chief Executive Officer » a eu pour la première fois toute latitude pour composer une sélection à sa main, avec une équipe de programmation et administrative en grande partie renouvelée. Anita Lee, ancienne dirigeante du Festival Asiatique de Toronto et productrice a pris auprès de lui pour la première fois la position de coordinatrice en chef de la programmation. L’efficace responsable de la communication et de la presse, Maria Alejandra Sosa, est l’une des rares dirigeantes restée en poste.
Cameron Bailey a décidé de composer une manifestation plus resserrée qu’auparavant, avec des choix plus précis, limitant le nombre de films sélectionnés au total (plus de 200 tout de même !). Cela a rendu le festival plus agréable pour les festivaliers : ils pouvaient voir les films plus facilement que dans le passé, puisqu’il y en avait plus de projections.
Première mondiale pour The Fabelmans !
Affrontant une concurrence plus difficile qu’auparavant de la part du Festival de Venise, avantagé par le fait de n’avoir pas été interrompu par la pandémie, Cameron Bailey a réussi le coup de maître d’attirer à Toronto la première mondiale de l’émouvant film autobiographique de Steven Spielberg, The Fabelmans. Le film fut très bien accueilli par le public cinéphile de la ville et a d’ailleurs obtenu le prix le plus marquant du Festival, le prix du Public « People’s Choice » – puisque le festival n’a pas de section compétitive, afin d’attirer les meilleurs sans les vicissitudes des rumeurs, des palmarès et des jurys. On le dit maintenant bien parti pour les Oscars, comme souvent les films récompensés à Toronto dans le passé. Le dauphin en fut Women talking, l’adaptation par Sarah Poley du roman homonyme de Miriam Toews à propos d’un groupe de femmes mnémonites de Bolivie qui essaye de combattre les abus sexuels de la secte religieuse patriarchique. Il fut suivi, sans surprise, de Glass Onion : A Knives Out Mystery, de Rian Johnson, un film d’action où Daniel Craig s’ébroue avec un plaisir visible à enfin sortir du costume de James Bond.
L’autre récompense marquante du festival, le prix de la section « Platform », au jury présidé par la réalisatrice Patricia Rozéma, est revenu à Riceboy Sleeps. Ce joli film canadien d’Anthony Shim retrace avec doigté la difficulté de l’insertion d’une famille coréenne dans ce pays. On notera aussi le prix du meilleur film canadien décerné à To Kill a Tiger, de Nisha Pahuja, qui traite de la difficile question des viols dans certaines communautés d’origine indienne, qui l’obtint devant Viking, intéressant film presque d’actualité, en somme, où un groupe de personnes sont choisis pour répliquer sur Terre en isolement en temps réel le comportement des astronautes du premier vaisseau parti pour la planète Mars afin d’en améliorer les décisions. Parmi les autres récompenses décernées par les jurys « parallèles », on notera enfin le prix Fipresci de la Critique Internationale décerné à A Gaza Week-end, de Basil Khalil, et le Prix Netpac octroyé à Sweet As, de l’australien Jub Clerc, qui suit les pas d’une adolescente aborigène qui s’accomplit lorsqu’on lui propose de faire de la photographie.
Bien sûr, le festival n’est pas uniquement limité à ces quelques prix et les 200 et quelques films présentés à Toronto ne se limitaient pas à ce palmarès. Outre les sections les plus courues, « Gala », « Platform » et « Présentations spéciales », le public torontois, resté fidèle malgré l’interruption due au COVID-19, pouvait aussi découvrir maintes œuvres dignes de vision dans les sections « Discovery », « Cinéma du monde contemporain », « documentaires », « films courts ». Enfin, les afficionados retrouvèrent les projections nocturnes de la section « Midnight Madness », cette section un peu particulière dédiée aux films de genre et de série B dont Noah Cowan avait eu l’idée il y a quelques années. Weird : The AL Yankovic Story d’Eric Appel, à la distribution menée par Daniel Radcliff et Evan Rachel Wood, y gagna d’ailleurs un prix du public propre à cette section.
Les choix possibles chaque jour donnaient bien d’autres possibilité. Nombre de critiques ont ainsi apprécié Moving On, l’émouvante comédie douce-amère pleine d’humour de l’excellent réalisateur qu’est Paul Weitz où Jane Fonda et Lily Tomlin sont superbes, au mieux de leur forme… malgré leur âge qu’on ne dévoilera pas ici. Les amateur de films à grand public se régalèrent quant à eux de la performance de Jessica Chastain dans The Good Nurse, de Tobias Lindholm Ce film s’inspire de l’histoire récente d’une infirmière « lanceuse d’alerte » qui réussit à découvrir la personne assassinant les malades de son hôpital. Jessica Chastain vint en personne présenter son film dans la belle salle bondée du « Prince of Wales » sous un tonnerre d’applaudissements… qui fut presque égalé lorsqu’après la fin de la projection, on fit monter sur scène la « vraie » infirmière! Le festival rendit aussi un bel hommage aux cinéastes emprisonnés en ce moment par le régime iranien, en programmant No Bears, l’exquise allégorie de Jafar Panahi, d’ailleurs récompensé à Venise. Panahi s’y met en scène lui-même, en réalisateur interdit par la censure parvenant à diriger tout de même un tournage à distance, tout en étant en proie à l’inquisition des habitants, puis des autorités, du village où il s’est réfugié.
Les professionnels aussi
Les professionnels habitués de Toronto ont aussi recommencé à trouver le chemin du festival et de son importante section « Industry ». Le grand stand d’Unifrance, sans aucun doute le plus fréquenté, accueillit vendeurs et acheteurs français pour leurs négociations. Il faisait face au stand d’European Film Promotion (EFP) qui regroupait nombre de cinématographies européennes. Les limitations dues à la pandémie ayant cessé, Unifrance comme l’EFP rassemblèrent à nouveau durant deux réceptions nombre de professionnels venus réseauter et se faire part de leurs trouvailles respectives.
Le festival organisa aussi de nombreux événements spécifiques pour souligner son grand retour, la présence de la populaire chanteuse Taylor Swift ou de Hillary Clinton en compagnie de sa fille Chelsea pour promouvoir leur série télévisée, Gutsy women, en étant les plus marquants.
Pendant ce temps, là aussi, les restrictions ayant cessé, le festival s’empara comme en 2019 de la rue adjacente, devenue piétonne durant le premier week-end, pour accueillir amateurs d’autographes et badauds venus accumuler gadgets, cadeaux et victuailles distribués dans les stands provisoires installés par les sponsors du festival. Bref, un festival de Toronto 2022 qui sut se mettre à la portée de tous et toutes !
Philippe J. Maarek