Toronto 2023

Le festival de Toronto 2023 aux prises avec les grèves à Hollywood

La 48° édition du Festival International de Toronto (TIFF, pour les habitués de l’acronyme anglais) aura été gênée par la grève des acteurs et des scénaristes hollywoodiens. Alors que son édition de l’année précédente avait été celle du retour à la normale, après deux épisodes réduits à cause de la pandémie COVID-19, cette grève a modifié l’équilibre qui fait la force habituelle du festival, entre films à grand public de stars hollywoodiennes et choix de films plus exigeants.

Cameron Bailey, depuis deux ans maintenant le seul dirigeant du festival, son  CEO, « Chief Executive Officer » et Anita Lee, la responsable en chef de la programmation, n’ont en effet pas pu cette année retrouver cet équilibre : comme les stars hollywoodiennes ne se seraient pas déplacées du fait de la grève, ils n’ont visiblement eu accès qu’à un choix réduit de films à grand public des Etats-Unis, les producteurs préférant décaler leurs sorties. Du coup, on peut se demander si la réputation de Toronto d’être le précurseur du palmarès des Oscars va se confirmer cette fois-ci ?

De facto, la sélection plus resserrée de Cameron Bailey (environ 220 films) a donc été plus orientée qu’à l’habitude vers les films d’art et d’essai ou de cinématographies en général peu représentées sur les écrans des salles canadiennes le reste de l’année. Cela n’a d’ailleurs pas eu d’influence sur le succès public du festival, les spectateurs habitués du TIFF de la ville de Toronto, l’une des plus cosmopolites du Canada, ayant en somme été contents de retrouver ainsi des films parlant à leurs racines sur de nombreux écrans de la manifestation. 

American fiction Prix du Public devant The boy and the heron !

Cameron Bailey avait fait le choix astucieux d’ouvrir la section « Gala » du festival par une œuvre très œcuménique, le nouveau film de Hayao Miyazaki, The boy and the heron, pour sa première internationale. Mais c’est un film de la section « Présentations spéciales », American Fiction, de l’américain Cord Jefferson, qui a été couronné par ce qui est en somme le prix le plus important, le prix du Public. Parmi les autres récompenses décernées par le festival, qui reste non compétitif sur le principe, sans jury ni compétition officielle, le prix FIPRESCI de la critique internationale fut décerné à Seagrass, de la canadienne Meredith Hama-Brown. Cette réalisatrice est un pur produit du festival de Toronto en somme, puisqu’elle avait été l’une des bénéficiaires en 2020 de son « Filmaker Lab », sorte d’équivalent de la résidence cannoise.

Enfin on notera le prix du meilleur film canadien décerné à l’un des galas, Solo, de la québécoise Sophie Dupuis. Un autre joli film canadien a aussi attiré l’attention, Les Jours heureux, de la québécoise Chloé Robichaud, qui met en scène une jeune cheffe d’orchestre finissant une année d’initiation à son métier auprès de l’Orchestre Métropolitain de Montréal. Son problème est d’arriver à se dépasser en transformant sa maîtrise de la technique en un véhicule d’émotions véritables – tout en gérant une vie sentimentale compliquée. Sophie Desmarais dans le rôle principal y fait une performance intéressante, d’avenir, qui sait ? 

Des performances d’acteurs… en leur absence !

L’absence des acteurs et actrices hollywoodiens et même d’autres pays, par solidarité avec les grévistes, aura d’autant plus frappé que plusieurs des films les plus populaires du festival comportaient de belles performances d’acteurs – ainsi absents des réjouissances. 

C’est ainsi que l’on n’a pas vu à Toronto Jessica Chastain, qui livre pour Memory, de Michel Franco, une nouvelle prestation magnifique toute en nuances et en émotions, en femme tombant amoureuse au mépris des conventions d’un homme prématurément atteint de la maladie d’Alzheimer – Jessica Chastain qui, à notre avis, aurait bien plus mérité le prix d’interprétation à Venise que son partenaire Peter Sarsgaard ! 

L’absence pour les mêmes raisons du quatuor d’actrices si glamour réuni par Kristin Scott-Thomas pour sa première réalisation, North Star, a évidemment frappé. Outre la réalisatrice-actrice elle-même, Scarlett Johansson, Sienna Miller et Emily Beecham, manquaient ainsi à l’appel du tapis rouge torontois pour cause de grève ! Certes basé sur un scénario un tant soit peu convenu, le film sait cependant parfaitement mettre en valeur cette belle distribution. Trois sœurs, dont la vie a pris des tournants bien différents, l’une star mondiale, l’autre première femme capitaine d’un porte-avions britannique, la troisième, femme au foyer, se retrouvent après des années pour le troisième mariage de leur mère. Mais l’on comprend vite que, orphelines des deux premiers maris de leur mère, deux aviateurs tués durant la Seconde Guerre Mondiale, elles en ont gardé un manque qui viendra petit à petit à jour au fil du film… Et puisque l’on parle de performance d’acteurs, il ne faut certainement pas oublier Ian McKellen, superbe en critique de théâtre vieillissant et réduit à conserver sa place grâce au chantage, dans The Critic, du britannique Anand Tucker.

Toujours du fait de la grève hollywoodienne, n’était pas non plus présente à Toronto Kate Winslet, qui assurait le rôle-titre de Lee, le film dû à la réalisatrice américaine Ellen Kuras inspiré de la vie de la grande photographe Lee Miller. On en attendait beaucoup, du fait de la redécouverte ces dernières années du parcours hors du commun de cette Américaine, au départ à la fois modèle et apprentie photographe de Man Ray — qui a composé pour elle certaines de ses plus belles photos de nus — puis photographe-reporter sur les pas de l’armée américaine de la Libération, et finalement anéantie mentalement par la vue de l’horreur des camps d’extermination nazis, au point de renoncer à son métier. Le film, sans doute handicapé par le choix d’une actrice d’âge mûr, qui ne pouvait pas interpréter de façon crédible Lee Miller face à Man Ray, a renoncé complètement à retracer même minimalement la première phase de sa vie. Il perd ainsi beaucoup, devenant la simple chronique banalisée d’une photographe de guerre.

Le cinéma français en vue

Du côté des professionnels, le stand d’Unifrance accueillit comme chaque année vendeurs et acheteurs français pour leurs négociations, et la réception organisée par l’organisme de promotion de l’audiovisuel français, appuyé par le consulat de France dans la ville, eut d’ailleurs un beau succès. Avec plus d’une quarantaine de films, le cinéma français était l’un des plus représentés à Toronto.

La palme d’or cannoise, Anatomie d’une Chute, de Justine Triet, eut un franc succès lors des séances publiques. En outre, des dizaines de journalistes et professionnels nord-américains ne purent entrer à la séance qui leur était réservée, archi-comble, et qui aurait largement pu être doublée! Même s’il avait déjà été primé à Cannes, Anatomie d’une Chute aurait d’ailleurs été mieux exposé dans la section Gala, nous semble-t-il. 

La Bête, l’attractive œuvre complexe et intrigante de Bertrand Bonello, dystopie montrant un futur dominé par l’intelligence artificielle qui semble de plus en plus proche, la réalité rejoignant la fiction, recueillit également de très nombreux suffrages favorables.

Si les cinémas du monde entier étaient donc bien représentées à Toronto, les cinématographies européennes ont d’ailleurs particulièrement marqué leur présence, notamment sous l’égide de l’European Film Promotion (EFP), qui regroupe efficacement la plupart des organismes de promotions nationaux d’Europe pour aider à leur diffusion dans le monde, en parallèle avec ceux-ci.


La popularité du festival auprès des Torontois, enfin, fut éclatante lors du premier week-end de la manifestation. La rue regroupant ses principaux lieux, la rue King,  devenue piétonne pour l’occasion, accueillit des milliers de badauds venus écouter des concerts improvisés ou non, accumuler les gadgets, et se gaver auprès des truck-food installés pour la circonstance en un bel événement joyeux !

Philippe J. Maarek