Briser les murs au Festival du film « Listapad » de Minsk

Capture d’écran 2020-12-17 à 13.23.02L’annulation de dernière minute par les autorités de Biélorussie du 27e Festival international du film Listapad de Minsk, même dans sa version  virtuelle, en avançant qu’il s’agissait d’une mesure anti COVID, a porté un coup sévère à l’indépendance de la Culture dans le contexte des manifestations populaires et de la bataille pour la liberté dans les rues. Mais tous les jurys prévus pour le Festival ont exprimé leur détermination à continuer leur travail en ligne, même si les résultats ne seraient officiellement annoncés au public local que lors du 28e Festival l’année prochaine.

Les Prix ne pouvaient que traiter cette fois, comme d’ailleurs la plupart des films du festival interdit, de la lutte politique, sociale et culturelle des hommes et des peuples. Le jury en ligne de la FIPRESCI a décidé de décerner son prix «New Voices» au film indien Just like that (Juste comme ça), pour sa contribution importante à la lutte pour les droits des femmes. Le film est magnifiquement réalisé, tourné et interprété, nous faisant comprendre les obligations oppressives, les attentes sociales ,que l’Inde inflige aux femmes âgées après que leurs «devoirs» ont été «accomplis».

Après 52 ans de mariage, la jeune veuve Mme Sharma (Mohini Sharma) a décidé de commencer à vivre pour elle-même et de ne pas, comme on s’y attend, agir en « bonne veuve » et emménager avec son fils Virendra (Harish Khanna), reporter de la radio locale, et sa femme Sonia (Sadhna Singh). Elle commence à sortir pour s’acheter des glaces, recevoir des soins de beauté, apprendre l’art de la fabrication de Kislaypoupées avec l’aide d’un tailleur local et, le plus «choquant», contrôler son propre argent: elle ouvre son premier compte bancaire. Malgré la pression de Virendra de «déplacer» sa chambre en bas pour que la famille à court de ressources financières puisse louer l’étage supérieur, elle résiste obstinément. Pour aggraver les choses, elle se lie d’amitié avec une jeune femme qui travaille dans le salon qu’elle commence à fréquenter, Sugandhi (Trimala Adhikari), et un homme musulman, Ali (Mohammed Iqbal), qui lui apprend à coudre. Rapidement, Mme Sharma devient la source des potins de la ville d’Allahabad mais persiste à refuser de sacrifier son indépendance.
Le réalisateur Kislay transmet efficacement son message, en touches légères. Il illustre parfaitement la position de Mme Sharma avec une combinaison d’images aliénantes qui la mettent hors de la foule et introduisent le monde dans sa nouvelle vie. La structure du film repose sur la compréhension de la façon dont Mme Sharma passe d’un état ou elle se sent complètement libérée à celui où elle se sent s à nouveau piégée, mais elle laisse l’espoir à une vieille femme de briser les murs de la tradition injuste.

Par ailleurs, en réponse directe à la soudaine interdiction de l’Etat de tenir le Festival, le Jury a décidé de décerner exceptionnellement un Prix Spécial au court métrage documentaire biélorusse Walls (Murs), présenté en projection spéciale, pour sa forte expression et description des manifestations contre le pouvoir biélorusse, en expression de solidarité avec les organisateurs du Listapad Festival et à la lutte des créateurs de la culture biélorusse pour le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression. À travers l’utilisation d’outils du quotidien tels que les smartphones, le réalisateur Andrey Kutsila y élabore un portrait émouvant de Biélorusses à la recherche de leurs proches, détenus dans les prisons de Minsk après les manifestations d’août 2020, dans une œuvre à la fois d’intérêt humain et cinématographique.

Kutsila ne raconte pas les histoires des victimes de torture elles-mêmes, mais celle de leurs proches, protestant sous les murs de la prison de la rue Akretsina, dans un état émotionnel d’incertitude, de confusion et d’espoir. La caméra capte les visages individuels e et « écoute » leurs conversations. Kutsila met intelligemment en valeur l’hymne « Briser les murs de la prison » entonné par les manifestants  dans les rues, dont les paroles sont la traduction biélorusse de l’hymne du mouvement de solidarité polonaise de 1978, Mury, écrit par le poète et auteur-compositeur-interprète Jacek Kaczmarski. Lui-même avait basé son air sur  » ’Estaca  catalan de 1968, de Lluis Llach, une chanson de résistance contre le régime de Franco en Espagne. Plus récemment, l’hymne a également été chanté et joué en Tunisie lors du printemps arabe.

Gidéon Kouts

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