Cannes 2022

Nos enfances

Quelques années en arrière, les personnages du premier film de jeunes réalisateurs, étaient souvent des trentenaires perdus dans leur vie, leur travail, leur couple et leur famille. Un écho de leur propre vie ? Cette année à Cannes, ils ont encore rajeuni et un nombre très surprenant de films dans différentes sélections avaient pour acteurs de jeunes enfants. Et pas seulement chez les jeunes cinéastes : le prix très spécial appelé Prix du 75°, créé pour récompenser les frères Dardenne (sans leur remettre une troisième Palme d’or), leur a été décerné pour Tori et Lokita, deux jeunes migrants en lutte contre la bureaucratie et les trafiquants de drogue. Le protagoniste d’Armageddon Time de James Gray (États-Unis d’Amérique) est un garçon de 11 ans vivant dans les années 1980.001_4177_D013_00346_R-H-2022

Bien sûr, tous ces réalisateurs ne faisaient pas que des films sur leur propre enfance, comme Jung July dans Next Sohee dénonçant la terrible pression exercée sur les jeunes stagiaires lycéens en Corée, ou Les Cinq diables de Léa Mysius, où l’étrange pouvoir d’une très jeune fille lui permet de voyager dans le passé. Alors pourquoi tant de films sur l’enfance ?

Ce peut être la fascination pour ce que l’être humain « non apprivoisé, non civilisé » est capable de ressentir, en termes de sensibilité, de soif de spiritualité, comme Salomée dans Alma Viva de Cristèle Alves Meira (France/Portugal) qui a des visions dans un village rural où toute femme indépendante peut passer pour une sorcière ; ou la liberté d’expression du jeune garçon dans Broker de Hirokazu Kore Eda (Japon) qui dit tout haut ce que pensent mais ne disent pas les adultes. Les enfants ont aussi une violence intérieure qui peut être fascinante comme dans Silent Twins de la réalisatrice polonaise Agnieszka Smoczynsk. L’amour inconditionnel y est une prison vécue et construite par deux sœurs jumelles qui les éloignent de l’extérieur, avec une fin dramatique.

C’est peut-être aussi un hommage à l’innocence perdue de notre monde : dans le Grand Prix Close de Lukas Dhont (Belgique), deux jeunes garçons, amis d’enfance très proches, commencent à s’éloigner lorsqu’ils perçoivent le regard des autres. Le Prix Fipresci des sélections « parallèles » ( La Semaine de la critique et La Quinzaine des réalisateurs) est allé à a71a1b4d2480384bdcd44e4d77f7f075Dalva, une production franco-belge d’Emmanuelle Nicot, un scénario bien construit pour le parcours d’une adolescente après de des années d’inceste et de manipulation. Les enfants sont une pâte malléable où le monde extérieur laisse sa marque. Essayer de s’intégrer peut être très difficile, comme pour Carlos dans Un Varon de Fabian Hernandez (Colombie) qui fait de son mieux pour être un vrai dur dans un environnement encore plus dur.

Alors que le monde s’est arrêté pendant la pandémie, nous avons été nombreux à avoir le temps de réfléchir au sens de notre vie et tout naturellement à nos origines. Dans Petit frère de Léonor Seraille (France), on comprend comment les premières années de la vie sont déterminantes pour la construction d’une personnalité. Pietro Marcello, avec L’Envoldéroule également l’histoire d’une jeune femme marquée par les premiers instants d’éveil à la vie et ses conséquences sur la personnalité qu’elle aura en grandissant.

Quelle que soit la raison de cette omniprésence de l’enfance dans toutes les sélections du Festival de Cannes, c’était très rafraîchissant de voir ces superbes acteurs, garçons et filles de la petite enfance à l’adolescence, si naturels, si nouveaux, si plein de vie. Dans ce premier Festival de retour à la normale (pas de test, pas de peur, presque pas de masque, de longues files d’attente, des salles combles et des Français grincheux), la présence lumineuse de tous ces jeunes enfants était un beau cadeau pour tous les spectateurs !

Magali Van Reeth

Le Palmarès officiel des longs métrages

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Palme d’or

TRIANGLE OF SADNESS (SANS FILTRE) réalisé par Ruben ÖSTLUND

Grand Prix ex-æquo

CLOSE réalisé par Lukas DHONT

STARS AT NOON réalisé par Claire DENIS (ph.ci-contre)Des Žtoiles ˆ midi (Stars at Noon)

Prix de la Mise en Scène

PARK Chan-wook pour HEOJIL KYOLSHIM (DECISION TO LEAVE)

Prix du Scénario

Tarik SALEH pour WALAD MIN AL JANNA (BOY FROM HEAVEN)

Prix du Jury ex-æquo

EO réalisé par Jerzy SKOLIMOWSKI

LE OTTO MONTAGNE (LES HUIT MONTAGNES) réalisé par Charlotte VANDERMEERSCH & VAN GROENINGEN

Prix du 75e Festival

TORI ET LOKITA réalisé par Jean-Pierre & Luc DARDENNE

Prix d’interprétation Féminine

Zar AMIR EBRAHIMI dans HOLY SPIDER (LES NUITS DE MASHHAD) réalisé par Ali ABBASI

Prix d’interprétation Masculine

SONG Kang-ho dans BROKER (LES BONNES ÉTOILES) réalisé par KORE-EDA Hirokazu

261628a2560e99b48684027f5706531bCaméra d’or

WAR PONY réalisé par Riley KEOUGH et Gina GAMMELL (ph.ci-contre)

Mention Spéciale Caméra d’Or

PLAN 75 réalisé par HAYAKAWA Chie