La Berlinale 2023 revient à la « normale » !
Après deux éditions plus ou moins tronquées de la Berlinale, l’une à distance, en 2021, l’autre très limitée, en 2022, son directeur artistique, Carlo Chatrian, et sa directrice exécutive, Mariette Rissenbeek, ont pu présenter en 2023 un festival qui marquait un retour à la « normale ». Pas de test antigène quotidien, masques facultatifs, réceptions professionnelles autorisées, le plaisir des festivaliers de pouvoir ainsi se retrouver dans les conditions habituelles a sans aucun doute donné une touche plus sympathique qu’à l’ordinaire à cette 73e édition de la Berlinale. La seule contrainte héritée du COVID, si l’on peut dire, était l’obligation faite à tous les festivaliers, journalistes inclus, de réserver sa place par Internet, même pour les séances réservées aux professionnels. Mais grâce à cela, en somme, les bousculades d’antan ont disparu et c’est en somme un progrès – dès lors évidemment que l’on obtienne facilement des places, ce qui fut quasiment toujours le cas ; bravo, donc.
Un palmarès « de consécration »
Le jury de la compétition officielle présidé par Kristen Stewart composa un palmarès dont l’idée principale sembla être de consacrer des auteurs reconnus mais pas encore arrivés sur les plus hautes marches des podiums. Ainsi, le jury décida de la remise du prix le plus prestigieux, l’Ours d’Or, au documentaire de Nicolas Philibert Sur l’Adamant, consacré à la péniche qui accueille des personnes souffrant de troubles psychiques, amarrés à un quai du 12° arrondissement parisien. Cela pourrait paraître comme une demi-surprise, les documentaires étant assez rarement autant à la fête, mais en même temps, la consécration de Nicolas Philibert au plus haut niveau semble comme une chose due.
De même, le couronnement du dauphin, l’Ours d’Argent, Grand Prix du Jury, le réalisateur allemand Christian Petzold, pour Roter Himmel semble une nouvelle marche logique pour ce réalisateur qui avait auparavant obtenu en 2012 l’Ours d’Argent de la meilleure réalisation pour Barbara. Conçu comme le second film d’une trilogie, après Undine, il y a trois ans, Roter Himmel est une parabole moderne sur l’écriture et l’amour. Un écrivain arrivant dans une maison isolée avec un ami, déjà en mal d’inspiration, se trouve aussi soudainement en mal d’amour pour la jeune femme inconnue avec qui ils vont partager la maison. Comme à l’accoutumée, Christian Petzold sait construire son film en crescendo, faisant succéder à une période faussement paisible de mise en place des personnages une série de retournements et de quiproquos. Il passe même finalement au tragique avec une légèreté paradoxale qui le transforme en manifeste d’amour. Petzold a choisi Paula Beer pour le rôle de la jeune femme, et lui donne à nouveau un très beau rôle qu’elle a investi avec encore plus de naturel et de bonheur que dans Undine. Il s’avère donc à nouveau comme un superbe directeur d’acteurs et encore plus d’actrices – qui ne se souvient des nombreux beaux rôles qu’il a donnés à Nina Hoss ?
Le prix de la meilleure réalisation, enfin, fut aussi une consécration, celle de Philippe Garrel, pour son Grand Charriot, œuvre à l’atmosphère intimiste centrée sur une famille de marionnettistes dont le théâtre ambulant est le cœur de la vie. Par petites touches, il parvient à ne jamais lasser le spectateur malgré une trame scénaristique simple, presque faible, et c’est ici tout le talent du réalisateur pour ce faire que le jury a salué.
Quant aux autres prix, ils récompensèrent pour le prix du Jury Mal Viver, de l’espagnol João Canijo, et, pour les prix d’interprétations, non genrés à Berlin, la toute jeune Sofia Otero, pour 20.000 espèces d’abeilles de Estibaliz Urresola Solaguren et pour le meilleur second rôle, Thea Ehre pour Bis ans Ende der Nacht de Christoph Hochhäusler. Le prix du meilleur scénario revint à Angela Schanelec pour son Music.
On regrettera sans doute enfin que le jury se contenta de donner un prix relativement mineur, celui de la Meilleure Contribution Artistique, à la Directrice de la Photographie Hélène Louvart, pour Disco Boy. Certes, son travail le méritait, mais c’est un peu négliger la qualité et l’originalité de la réalisation de Giacomo Abbruzzese, qui s’impose d’emblée comme un nom à retenir. Son brillant premier long métrage suit le parcours heurté d’un Biélorussien fuyant son pays dans l’idée d’obtenir un passeport français après cinq années dans la Légion Étrangère française. Abbruzzese compose un film onirique fort original, jouant sur les contrastes, entre les personnages eux-mêmes, et entre l’ordre de la Légion et le désordre apparent mais flamboyant du monde extérieur. Giacomo Abbruzzes est magnifiquement aidé par cet acteur de talent qu’est Franz Rogowski dans le rôle principal, déjà remarqué dans Passages, présenté à Berlin dans la section « Panorama » après sa sélection au festival de Sundance un mois auparavant.
Des découvertes à glaner dans les autres sections
Comme tous les « grands » festivals, la Berlinale ne se limite en effet pas à une compétition officielle, et comprend plusieurs autres sections, dont, justement, les traditionnelles sections « Panorama » et « Forum International du Jeune Cinéma ». On notera le soin mis par Carlo Chatrian à composer avec minutie la sélection des deux sections plus spécifiques et récentes du festival, la section « Rencontres » et la section « Berlinale special ».
Les deux films ouvrant ces deux sections furent particulièrement bien choisis. Ouvrait la section « Rencontres » une œuvre qui n’aurait d’ailleurs pas dépareillé Sundance, un film « indépendant » du réalisateur américain Dustin Guy Defa, The Adults Il y montre avec originalité le malaise fréquent des rapports familiaux à travers la difficulté de communiquer d’un frère et de deux sœurs. Ceux-ci se retrouvent dans la maison familiale après plusieurs années de séparation et de silence, et sont réduits à « parler » dans le baragouin de leur enfance pour parvenir à se comprendre vraiment. La performance des trois acteurs qui les incarnent, Michael Cera, Hannah Gross et Sophia Lillis, est remarquable.
De même, on saluera le beau choix pour l’ouverture de la section « Berlinale special », que fut Laggiù qualcuno mi ama, l’excellent documentaire que Mario Martone a réalisé en hommage à Massimo Troisi. Intercalant judicieusement extraits de films de Troisi et clips de réalisateurs célèbres, Chaplin et bien d’autres, Martone rend un bel hommage à Massimo Troisi en montrant que ce réalisateur-acteur de films à grand public était aussi un véritable auteur dont le talent était en somme injustement méconnu, sous-estimé parce qu’il faisait des films populaires.
Dans la même section, il faut aussi saluer la magnifique performance d’Helen Mirren dans Golda, le film de l’israélien Guy Nattiv où elle incarne avec une véracité stupéfiante Golda Meir, la Première Ministre d’Israël durant la Guerre de Kippour.
Un regret et une surprise
Si le Marché du Film accueillait à nouveau les professionnels en 2023, on regrettera vivement que les journalistes en aient quasiment été exclus, puisque l’accès au Marché du Film ne leur était autorisé… qu’après 17 heures, autant dire lorsque tous les participants n’y sont plus. Pourtant, il est normal pour les journalistes de s’informer sur les cinématographies des pays qui y sont représentées, de prendre parfois ainsi des contacts plus facilement avec des équipes de films, bref, de faire leur travail.
Quant à la surprise, ce fut de constater que les films de la rétrospective de 2023 étaient des œuvres, certes intéressantes, mains majoritairement des années 1970 à 1990, à trois exceptions près des années 1950. On avait jusqu’alors l’habitude d’aller à la rétrospective de temps en temps pour le plaisir de retrouver des films muets centenaires ou de l’entre-deux guerre. Certes, la génération « Millénium » considère déjà les films des années 1980 comme des incunables, ou presque, mais il faut espérer que la richesse du cinéma antérieur allemand et international soit à nouveau à l’honneur de la rétrospective de la prochaine Berlinale. Cela n’enlève rien à la satisfaction qu’ont éprouvée les festivaliers de voir que la Berlinale 2023 avait retrouvé toutes ses couleurs !
Philippe J. Maarek
Berlin 2015: félicitations au jury!
Comme l’aurait dit Rabelais, le jury de la 65ème édition de la Berlinale présidé par Darren Aronofsky aura su extraire la « substantifique moelle » d’une sélection en dents de scie.
La belle composition du jury pouvait, en vérité, laisser augurer d’un excellent palmarès. Sous la houlette de Darren Aronofsky, qui le présidait, siégeaient parmi d’autres rien moins que Matthew Weiner, l’auteur de la célèbre série télévisée Mad Men, dont on sait qu’il ne s’en laisse pas compter, mais aussi la productrice italienne Martha De Laurentiis. Il y avait aussi la réalisatrice péruvienne Claudia Llosa, une habituée des prix de la Fipresci, de la critique internationale et Audrey Tautou pour la France, bref, du beau monde.
Or, alors que la compétition avançait, il apparut de plus en plus que les films des cinéastes les plus « reconnus » décevaient plus ou moins. En particulier, le Queen of the desert tant attendu de Werner Herzog ne parvint jamais à faire oublier le Laurence d’Arabie de David Lean malgré la similitude des prémisses et l’intérêt potentiel d’avoir fait du héros une héroïne. Nicole Kidman y incarne un personnage historique qui a probablement eu autant d’influence que Laurence d’Arabie, Gertrude Bell, une Anglaise féministe avant la lettre qui rayonna à dos de dromadaire à l’orée du 20° siècle à travers tout le Moyen-Orient, par fascination pour les tribus bédouines qui se le partageaient. Mais la mise en scène de Herzog, de façon surprenante, est extrêmement convenue, d’un classicisme étonnant pour le génie créateur de Fitzcaraldo ou de L’Enigme de Kaspar Hauser. En outre, l’effort du compositeur Klaus Badelt pour reprendre certaines des sonorités de Maurice Jarre dans le film de David Lean ne fait qu’ajouter à l’envie de revoir « l’original », en quelque sorte. Une autre déception fut le pastiche de Terence Malick par lui-même, en quelque sorte. Son Knight of cups dévoie une incontestable maîtrise de la caméra au service d’un scénario inexistant et même incompréhensible où Christian Bale, Cate Blanchett et Nathalie Portman en sont réduits à incarner des silhouette quasiment muettes se promenant devant la caméra de Malick.
Bref, le jury sut ne pas s’arrêter à ces quelques déceptions venant de noms très attendus, et ne pas hésiter à aller chercher plus loin son palmarès. Il décerna ainsi à juste titre sa récompense supr Profitant du cadre fourni par un volcan actif où se situe le film, Bustamante nous fait comprendre la valeur r Jayro Bustamanteême, l’Ours d’Or, à un long métrage fait pourtant de bric et de broc, le Taxi de l’Iranien Jafar Panahi, dont on sait qu’il est théoriquement interdit de tournage dans son pays. Lui-même présent dans son film en chauffeur d’un taxi, Jafar Panahi a monté une caméra dans cette voiture, et en a fait son studio ambulant, en quelque sorte. Il est ainsi parvenu à composer une œuvre cinématographique en juxtaposant avec bonheur des saynètes constituées par les passagers qui hèlent la voiture pour composer un kaléidoscope vif et bien ajusté de l’Iran d’aujourd’hui. Darren Aronofsky et ses jurés furent d’ailleurs ici rejoints par le jury Fipresci de la Critique Internationale qui décerna également son prix pour la compétition à Taxi.
Le jury officiel continua à se détourner, à juste titre, nous semble-t-il, des valeurs « classiques » de la compétition, pour la plupart de ses autres prix. L’Ours d’Argent, son « Grand Prix », le dauphin de l’Ours d’Or, revint en effet à El Club, du cinéaste chilien Pablo Larrain, une sobre et nette introspection sur le catholicisme latino-américain aujourd’hui. L’Amérique Latine fut d’ailleurs à l’honneur puisque l’Ours d’Argent spécial « Alfred Bauer » est revenu au touchant Ixcanul, sans doute l’une des meilleurs surprises de la Berlinale 2015, une coproduction entre le Guatemala et la France réalisée par Jayro Bustamante. Profitant bien du cadre particulier fourni par un volcan actif au pied duquel se situe le film, Bustamante nous fait comprendre la valeur de la culture autochtone en la confrontant à la civilisation nord-américaine à travers les yeux du périple initiatique d’une jeune fille d’ascendance Maya. Toujours l’Amérique Latine au palmarès, enfin, pour le prix du meilleur scénario décerné au vétéran Patricio Guzman pour El Bóton de Nacár.
Parmi les autres récompenses décernées par le jury, on signalera encore l’astucieux octroi des deux Ours d’Argent de la meilleure interprétation au splendide duo d’acteurs formé par Charlotte Rampling et Tom Courtenay dans l’émouvant 45 Years du britannique Andrew Haigh, qui suit minutieusement, à petites touches, la décomposition implicite d’un couple âgé lorsque le corps de l’ancienne petite amie du mari, disparue à la suite d’un accident, est retrouvé après un demi-siècle. Le jury sut aussi saluer le tour de force réalisé par le directeur de la photographie Sturla Brandth Grœvlen qui tourna Victoria de Sebastian Schipper en un seul plan de … 2 heures et 20 minutes! On y suit en temps réel à la lueur glauque de la nuit finissante un groupe de petits voyous berlinois qui commettent un « casse » accompagnés d’une jeune espagnole rencontrée par hasard. Grœvlen méritait cet Ours d’Argent, même si l’idée du plan unique revenait à son réalisateur-scénariste, dont le script était un peu trop décousu.
Au-delà de la compétition
Comme à l’accoutumée, le Festival de Berlin, qui se veut un festival populaire, avec plus de 300.000 spectateurs dans ses salles chaque année, a frappé par la qualité et le nombre de ses cinéphiles payants, puisqu’il accueille le public dans quasiment toutes les projections de ses sections officielles, mis à parts un nombre réduit de séances limitées à la Presse. C’est dire qu’outre la grande salle Marlène Dietrich, les répétitions de la compétition, par exemple, dans l’immense FriedrichPalast situé au cœur de l’ancien Berlin Est, furent bondées, tout comme celles de la section « Panorama », dirigé par Wieland Speck, qui fait ses premières au beau « ZooPalast » rénové depuis l’an dernier, l’ancien quartier général de la Berlinale, lui à l’Ouest de la ville. On y vit, entre autres, dans ses diverses programmations, les derniers films de Gabriel Ripstein (600 Millas), de Rosa von Praunheim, bien sûr, un habitué de la section (Härte), le dernier film de Raoul Peck, Meurtre à Pacot ou Ned Rifle, l’attachant film en forme de « Chronique d’un meurtre annoncé » de Hal Hartley. Les salles du « Forum International du Jeune cinéma », l’autre grande section historique du Festival, dirigée par Christoph Terhechte depuis que son fondateur, Ulrich Grégor, a passé la main, ne déparèrent pas non plus. Le jury de la Fipresci décerna son prix pour le Forum à Il gesto delle Mani, de l’italien Francesco Clerici, n’hésitant pas à saluer ici un documentaire presque calligraphique sur une fonderie de bronze traditionnelle établie depuis 1913 à Milan.
Les Professionnels aussi
Mais il ne faut pas oublier que le Festival de Berlin, c’est aussi le premier rendez-vous de l’année des professionnels du cinéma du monde entier, désireux d’y nouer des affaires avant le rush cannois du mois de mai, où au contraire d’y découvrir des gemmes avant que d’autres ne les voient plus tard. A cet égard, la réussite du travail de longue haleine de Beki Probst, l’ancienne directrice et maintenant Présidente du « Marché Européen du Film », est manifeste. On y a compté cette année la bagatelle de 8.500 professionnels accrédités, en provenance de 100 pays, dont 1.568 acheteurs. 748 films, le plus souvent différents de ceux des sections « publiques » y furent montrés en 1.014 séances! Même l’espace physique dédié au Marché s’est étendu, plusieurs étages de l’hôtel Marriott complétant maintenant le quartier général du Martin Gropius Bau. Un signe clair de ce succès, d’ailleurs, est le fait qu’Unifrance a dû réduire l’espace de détente de son stand pour accueillir plus de sociétés en son sein.
Ajoutons que le Festival, c’est aussi une multitude d’événements parallèles, comme par exemple le tremplin aux jeunes acteurs européens fourni par l’opération « Shooting Stars » de l’European Film Promotion, l’organisme de promotion fédérateur de ses homologues nationaux européens. Pour la première fois, une petite section de la Berlinale était consacrée… aux séries télévisées, montrant que Dieter Kosslick, le maître d’œuvre du festival, n’oublie pas de suivre l’évolution de la culture moderne, la présence au jury de Matthew Weiner en ayant été un autre signe.
Philippe J. Maarek
Un franc succès pour le 62° festival de Berlin
La 62ème édition de la Berlinale aura été un net succès, aussi bien du côté du public quedeceluidesprofessionnels. Seul reproche, sans doute, mais on ne peut pas le mettre du côté des organisateurs, un palmarès un tant soit peu timide et donnant légèrement l’impression d’avoir mélangé les récompenses!
Le jury présidé par Mike Leigh a en effet choisi de donner sa récompense suprême, l’Ours d’Or tant convoité, à Paolo et Vittorio Taviani pour leur Cesare deve morire, une allégorie transposant l’histoire mythique du héros de la Rome antique dans une prison d’aujourd’hui. Film maîtrisé, incontestablement, mais que l’on n’attendait pas si haut. Plus surprenant fut le chassé-croisé qui vit donner au réalisateur allemand Christian Petzold l’Ours d’Argent de la meilleure réalisation pour son Barbara, à la mise en scène de qualité, certes, mais dont l’atout le plus fort était l’interprétation de la grande actrice qu’est Nina Hoss, remarquable d’expression dans une retenue apparente, alors que l’Ours d’Argent de la meilleure actrice alla à Rachel Mwanza pour Rebelle, du canadien Kim Nguyen, que l’on attendait plutôt pour un Grand Prix ou un Prix Spécial… Enfin, Tabu, le film du portugais qui obtint le Prix Fipresci de la Critique Internationale fut « sauvé » in extremis en quelque sorte par le Prix Alfred Bauer, alors qu’on l’attendait plus haut. Mais il est vrai que quasiment tous les palmarès peuvent être discutés et rediscutés, et sont les fruits de compromis entre les jurés, qui seraient sans doute différents si un seul juré, parfois, changeait!
Le succès du 62e Festival de Berlin, en tous cas, c’est d’abord et avant tout un succès public, puisqu’il s’agit d’un des deux festivals de première importance au monde à être aussi ouvert au grand public avec celui de Toronto. Malgré un froid quasiment sibérien (il fit jusqu’à -20° Celsius la veille du premier jour du Festival), la popularité de la Berlinale ne s’est pas démentie cette année, avec la bagatelle de 250.000 billets vendus. L’ouverture d’une nouvelle salle, tout simplement baptisée « Haus der Berliner Festspiele » (La Maison des Festivals Berlinois) fut à cet égard bienvenue, venant après l’accès de la belle grande salle traditionnelle duFriedriechstadt Palast l’an dernier, permettant ainsi aux journalistes et accrédités de côtoyer plus facilement le public qu’auparavant (et en attendant la réouverture du ZooPalast, la salle mythique des premières années du Festival).
Mais le Festival de Berlin, ce n’est pas seulement la compétition officielle menée par Dieter Kosslick, son Directeur, dont le succès a d’ailleurs permis un renouvellement du contrat cette année, mais aussi deux grandes sections non compétitives importantes. La section « Panorama », dirigée par Wieland Speck, correspond en quelque sorte au « Certain Regard » de Cannes. Indignez-vous, de Tony Gatliff, y fut notamment remarqué. Quant au « Forum International du Jeune Cinéma », dirigé par Christoph Terhechte, il représente une version exigeante des sections dites « parallèles » cannoises. Le public berlinois y fut aussi fort présent, et nombre de ces films profitèrent de la synergie avec le Marché du Film berlinois, pour leur promotion et leur vente dans les circuits d’art et d’essai du monde entier.
Signe peut-être de fin de la crise économique, le Marché du Film berlinois, toujours dirigé de main de maître par Beki Probst, fut plein à craquer, avec plus de 2000 professionnels accrédités qui profitèrent de pas moins de 35 salles de projection qui leur étaient réservées. Il a ainsi largement confirmé sa place de premier grand rendez-vous de l’année des acheteurs et vendeurs de films du monde entier. Le grand stand Unifrance y a pris une nouvelle organisation, avec un espace paysagé bien plus attractif que les loggias un peu refermées sur elles-mêmes des années précédentes. Pour la première fois de longue date, une place importante fut prise au Marché par les « indépendants » américains, qui avaient un peu déserté Berlin ces dernières années – à l’inverse des studios – et des stars – hollywoodiens, bien moins présents à Berlin cette année que d’habitude, mis à part le très fort film de Stephen Daldry, Extrêmement Fort et Extrêmement proche, d’ailleurs présenté hors compétition seulement.
Rappelons enfin que Berlin, c’est aussi une multiplicité de sections « spécialisées » parallèles qui semblent sortir d’année en année du chapeau de l’imaginatif Dieter Kosslick! Ainsi, outre la récente section « Géneration », qui remplace en partie l’ancienne section des film pour enfants du Festival, la section « Cinéma culinaire », où un repas suit les projections (!), et l’importante opération « Talent Campus », la Berlinale a annoncé cette année la création d’une « résidence », qu’on peut comparer sans doute à la déjà bien implantée opération cannoise similaire. Du coup, la section « rétrospective », qui fêta le centenaire des célèbres studios de Babelsberg parut bien « classique », en quelque sorte, mais apporta un coup d’œil rétrospectif pas inutile.
Comme à l’accoutumée, de nombreux autres événements se déroulèrent en marge du Festival, comme l’opération « Shooting Stars » de « European Film Promotion », l’organisme de promotion du cinéma européen à l’étranger, ou la remise des « Teddy awards » pour faire honneur à la tradition gay et lesbienne d’une ville dont la « Gay Pride » constitue l’un des temps forts de l’année!
Philippe J. Maarek
Le 61° festival de Berlin: un festival et un palmarès courageux!
Pour sa 61ème édition, le Festival de Berlin, premier grand rendez-vous du cinéma mondial de l’année, a été fidèle à lui-même en sachant mettre en compétition officielle un ensemble relativement réduit de seize films destinés bien plus aux circuits d’art et d’essai qu’au grand public, choix de l’exigence – parfois de la difficulté… – d’ailleurs relayé par le jury présidé par la sublime Isabella Rossellini qui décerna son Ours d’Or à Nader et Nissim, du réalisateur iranien Asghar Farhadi
Le jury a ainsi tout à fait partagé l’état d’esprit militant traditionnel du Festival, qui, à l’initiative de son directeur, Dieter Kosslick, avait décidé d’y réserver une place, restée désespérément vide, à Jafar Panahi, auquel son pays vient d’interdire toute activité professionnelle… Nader et Nissim s’était d’ailleurs tourné avec difficulté à cause de la censure locale, et Asghar Farhadi avait failli être forcé de ne pas pouvoir terminer le tournage – il faut dire que sous un prétexte de fiction, la violence des rapports sociaux en Iran y est clairement mise en évidence. Pour bien montrer qu’il ne s’agissait pas d’un hasard, le jury a même décidé de décerner les deux Prix d’Interprétation à toute l’équipe d’aceurs masculins et féminins du film. Bref, des Ours et un palmarès de combat, donc!
En revanche, l’Ours d’Argent du Grand Prix du Jury fit moins surprise, en récompensant le hongrois Belà Tarr pour son Cheval de Turin, un sobre film tout en plan-séquences noir et blanc. Belà Tarr fit d’ailleurs aussi consensus du côté des critiques de la Fipresci qui lui ont décerné leur convoité Prix de la CritiqueInternationale pour la compétition. L’Ours d’argent de la meilleure réalisation décerné à l’allemand Ulrich Köhler pour Maladie du Sommeil fut plus inattendu – on aurait préféré le voir décerné à Michel Ocelot pour son beau film d’animation très visuel en 3D, Les Contes de la nuit, seul film Français en compétition, d’ailleurs. Quant au Prix du Meilleur premier film, le Jury ad hoc alla le chercher dans une nouvelle section du Festival « Génération 14 plus », pour le donner à On the ice, the Andrew Okpeaha MacLean, encourageant ainsi ce qui est l’un des premiers films dû à un réalisateur indigène de l’Alaska, pour une fiction tournée dans sa propre contrée. Parmi les bonnes surprises du festival, enfin, on signalera une véritable résurrection de Wim Wenders dans un film documentaire remarquable sur la chorégraphe et danseuse Pina Bausch, Pina, malheureusement présenté hors compétition, et donc ignoré forcément du palmarès. Wenders arrive à saisir l’esprit de la chorégraphe disparue en utilisant de façon très originale la 3D, utilisée à point pour faire ressortir les saillances de l’art de Pina Bausch, superbement pérennisé de la sorte.
Comme à l’accoutumée, le Festival de Berlin, ouvert au grand public et fort populaire, avec des prix d’entrée très abordables, fut au moins aussi animé dans ses deux principales sections « parallèles » que dans la grande salle Marlène Dietrich de la Compétition. La section « Panorama » animée par Wieland Speck, en quelque sorte l’équivalent à Berlin de « Un Certain Regard » à Cannes, et le « Forum International du Jeune Cinéma » dirigé par Christoph Terhechte, refusèrent très souvent du monde, aussi bien dans les salles du quartier général du Festival, la « Potsdamer Platz », que dans les autres salles disséminées dans Berlin où le Festival se déconcentre pour le plus grand bonheur du public local. Il faut voir le plaisir des Berlinois rattraper les films de la compétition au « Friedrichspalast », une superbe salle de Music-Hall, ou envahir la vénérable salle du Delphi pour le Forum! L’apparition de l’importante section « Generation », qui remplace en partie l’ancienne section des film pour enfants du Festival devenue obsolète, comme la poursuite de l’importante opération « Talent Campus », qui voit apprentis cinéastes et critiques du monde entier venir passer quelques jours d’apprentissage intensif de leur métier au contact de grands professionnels, montre bien l’éclectisme, mais aussi le didactisme voulu par le Festival – sans compter le hobby de son directeur, la section « Cinéma et Cuisine« !
Du côté des professionnels, le Marché du Film berlinois dirigé de longue date de main de maître par Beki Probst, premier lieu de rencontre important de l’année pour les vendeurs et acheteurs du monde entier, a semblé marquer une reprise, après le mouvement déjà enregistré à Sundance. De nombreuses ventes y ont eu lieu, liées ou non à la présentation dans l’une des sections du Festival. Le film de Belà Tarr qui obtint le Grand Prix du Jury fut ainsi l’objet d’achats fébriles par les distributeurs de nombreux pays avant même que le palmarès soit connu. Bien que peu représenté dans les salles « publiques », le cinéma français se vendit également assez bien au Marché, et l’affluence dans le stand « parapluie » d’Unifrance au Marché du Film le montra bien. Pas moins de 33 écrans furent cette fois réservés pour les professionnels accrédités au Marché.
Comme à l’accoutumée, de nombreux autres événements se déroulèrent en marge du Festival, comme l’opération « Shooting Stars » de « European Film Promotion », l’organisme de promotion du cinéma européen à l’étranger, qui mit en valeur dix jeunes acteurs ainsi promus au rand d’espoirs du cinéma européen ou les célèbres « Teddy awards » du cinéma gay et lesbien, bien dans l’esprit d’émancipation qui caractérise le Festival de Berlin et la Ville qui l’accueille.
Philippe J. Maarek