La Fipresci à l’honneur au Bifest 2015

IMG_0873.jpgLa Fipresci, la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique, à laquelle l’UJC est affilié, a commencé les festivités de son 90° anniversaire à Bari, au Sud de l’Italie. Depuis six ans, Felice Laudadio y a fondé et dirige le Bifest, le « Bari International Film Festival », qui, tout en faisant la part belle au cinéma italien, accueille aussi une sélection internationale. Cette année, Felice Laudadio avait en outre décidé de mettre la Fipresci à l’honneur, par le biais d’une « Master Class » quotidienne. Alan Parker, Jean-Jacques Annaud, Costa-Gavras, Ettore Scola, Andzej Wajda, Edgar Reitz, Margarethe von Trotta et Nani Moretti se sont donc succédés tous les matins après la projection d’un de leurs films devant la belle salle comble du théâtre Petruzelli qui scande la vie culturelle de la ville depuis sa rénovation. Passionnants, pleins de détails personnels et d’aperçus du métier de réalisateurs, ces entretiens, menés par des critiques de la Fipresci, captivèrent l’attention. Il fallait ainsi entendre Jean-Jacques Annaud parler de la différence entre la direction d’acteurs européens et américains, et le voir mimer sur scène la façon de gérer le positionnement de Sean Connery devant la caméra lors du tournage de Au nom de la Rose! Tous les réalisateurs reçurent une plaque commémorative spéciale de la Fipresci.

Un jury, formé de critiques du Syndicat Italien de la Critique, donna de nombreux prix à certains des films de la sélection italienne. Parmi ceux-ci, notera le Prix Mario Monicelli de la meilleure réalisation à Francesco Munzi pour son Anime nere,  le Prix Franco Cristaldi du meileur producteur de Luigi Musini, le Prix Anna Magnani pour la meilleure actrice d’Alba Rohrwacher pour Hungry Hearts de Saverio Costanzo, le Prix Vittorio Gassman du meilleur acteur d’Elio Germano pour Il giovane favoloso de Mario Martone, le Prix Ennio Morricone de la meilleure musique de Paolo Fresu pour Torneranno i prati d’Ermanno Olmi et le Prix Giuseppe Rotunno de la meilleure photographie décerné à Fabio Cianchetti pour Hungry Hearts et celui du meilleure montage de Premio Roberto Perpignani pour Anime nere. Dans la section internationale, un  jury populaire, présidé par  Valerio De Paolis,  enfin, donna le Prix International à  Louis-Julien Petit pour  Discount.

Philippe J. Maarek

Jean Roy Chevalier de la Légion d’Honneur

JR

Dans le cadre de l’hommage à la Fipresci organisé par Felice Laudadio, le directeur du Bifest de Bari, Philippe J. Maarek a procédé à la nomination officielle de Jean Roy, Président de l’UJC, mais aussi ancien Président de la Fipresci, comme Chevalier de la Légion d’Honneur, sur la scène du théâtre Petruzelli.

Critique en titre de l’Humanité de longue date, Jean Roy, on le sait, a aussi longtemps dirigé la Semaine de la Critique à Cannes, y faisant découvrir de très nombreux réalisateurs du monde entier.

Le 17e Festival International du Film Documentaire de Thessalonique

PosterLe 17e Festival International du Film Documentaire de Thessalonique : Images of the 21st Century

A part des nouvelles sur son économie souffrante sur les chaînes d’information, des brochures de vacances et sa Nouvelle Vague en cinéma, la Grèce contemporaine est mal connue. Même pour moi, venant d’un pays voisin, un festival de documentaires comme celui de Thessalonique peut offrir une image colorée et surprenante.

En tant que membre du jury FIPRESCI, j’ai eu le plaisir de suivre les titres grecs au total au nombre de 17, inclus dans les différentes sections thématiques du festival, sans compter le panorama spécial grec de 46 (!) productions. Il n’y a rien d’étrange à ce que beaucoup de ces documentaires avaient l’air  télévisuel — dans le contexte aggravé de la crise financière, on ne pouvait demander aux 63 titres grecs présentés (sur 191 au total) d’être des chefs-d’œuvre du cinéma d’auteur. Mais télévision ne signifie pas automatiquement « qualité moindre ». Au contraire, les projections de Fascism Inc. d’Aris Chatzistefanou et d’agora – From Democracy To The Market de Yorgos Avgeropoulos, de la section panorama grecque, se sont avérées  très suivies. Les deux réalisateurs sont des journalistes respectés avec une filmographie documentaire excellente de sorte que leur budget a pu être facilement bouclé grâce au financement participatif. Pour cette raison, Fascism inc. peut être regardé gratuitement en ligne [http://infowarproductions.com/fascism_inc/], avec des sous-titres français, et je vous recommande fortement les deux titres précédents du même auteur. Ces films sont une introduction appropriée au point de vue spécifique des Grecs sur la politique et la crise mondiale.

En fait, la plupart des documentaires vus au festival parlent très peu de politique. Cependant, il y avait des «films politiques», comme  The fish on the mountain, de Stratoula Theodoratou, mais il appartient à un groupe de titres qui, généralement de façon télévisuelle, se saisit d’un problème urgent (ici l’industrie navale), puis « balance » au spectateur les faits, la douleur et la frustration. Dans cette catégorie, on peut retrouver aussi Emery Tales de Stelios Efstathopoulos & Susanne Bausinger (sur l’extraction de l’émeri aux Cyclades) et Milad – My Planet… de Menelaos Karamaghiolis (sur les immigrés clandestins).

Une perspective beaucoup plus variée fut offerte par deux titres de la section Habitat – In The Nest Of Time de Alexandros Papailiou et Leaving Is Living de Laura Maragoudaki. In The Nest Of Time  se concentre sur plusieurs jeunes écologistes travaillant dans différents domaines de la protection environnementale. Leurs choix de vie sont présentés comme la norme, et leur travail comme le plaisir, ce qui rend le film agréable à regarder. Encore plus dynamique et estimable est mon film favori grec du festival, Leaving Is Living, qui suit le braconnage des tourterelles pendant leur période de migration au printemps. Concis et pince-sans-rire, le film pénètre la culture de la chasse et sa signification aujourd’hui, ainsi que le modèle de « business-as-usual » en Grèce.

Mais les grandes trajectoires sont également vitales pour le cinéma documentaire. Il est donc louable que certains auteurs grecs n’hésitent pas à relever le défi. Un Condor de Yannis Kolozis est une invitation à voyager au Chili avec le protagoniste du film, réfugié politique en Angleterre. A Place For Everyone d’Angelos Rallis & Hans Ulrich Gοessl célèbre discrètement le vingtième anniversaire du génocide au Rwanda. The New Plastic Road d’Angelos Tsaousis & Myrto Papadopoulos nous emmène au Tadjikistan, où le commerce avec la Chine est  en plein essor actuellement. Pure Life, de Panagiotis Evangelidis, à son tour, examine les outsiders à Barcelone, en attaquant la plupart des préjugés des Balkans sur la culture gay et l’industrie porno.

No 874846Bien sûr, l’exception confirme la règle — la plupart des films grecs continuent traiter du territoire et de l’histoire de la Grèce, en optant pour un format et style classique. Deux titres ont été présentés dès le début comme très importants, surtout par nos collègues grecs : The Archaeologist de Kimon Tsakiris et Hail Arcadia de Filippos Koutsaftis. Les deux sont une réflexion sur la crise de l’État moderne, qui devrait autant se préoccuper de la prospérité économique que de la protection des ressources archéologiques et culturelles et du bien-être du peuple. De ces deux lectures, Hail Arcadia a remporté le prix FIPRESCI, probablement à cause de sa sensation d’exhaustivité et d’urgence au niveau du sujet, malgré sa mise en scène traditionaliste.

En parlant de traditions, je voudrais mentionner deux grandes leçons d’histoire : Escape From Amorgos, de Stelios Kouloglou et Kostis Palamas – The Supreme Flower In Greek Literature, de Stamatis Tsarouchas, qui se voudrait sérieux en théorie, mais se révèle comique dans la pratique pour son révisionnisme historique. Olympia de Stavros Psillakis et Mana de Valérie Kontakos m’ont fait réfléchir sur la façon dont le christianisme orthodoxe se confrontait avec l’identité nationale en Grèce, une oeuvre qui ajoute des aspects intéressants au débat sur la laïcité en France et au-dehors.

C’est pour cette raison que le cinéma documentaire est le meilleur ambassadeur d’un pays, celui qui initie de nouvelles conversations!

Yoana Pavlova

Guadalajara 2015


Viva Mexico

par Barbara Lorey de Lacharrière

Le Festival Internacional de Cine en Guadalajara (Festival International du Film de Guadalajara,  6-15 Mars 2015), dont on célébrait cette année le 30e anniversaire, est considéré comme l’une des vitrines les plus importantes du monde pour la promotion et la distribution des films mexicains et latino-américains. Soutenu par l’Université de Guadalajara, l’Institut mexicain de cinématographie (IMCINE), le Conseil national pour la culture et les arts (CONACULTA), le gouvernement de l’État de Jalisco, les villes de Guadalajara et Zapopan, le festival, sous la direction d’Ivan Trujillo, a pris ces dernières années une ampleur considérable .

Sans titreLe temps fort des sections officielles incluant  les deux programmes de compétition  de long métrages de fiction et de documentaires ibéro-américains (16 films chacun), une  section très riche de courts métrages et le Premio Maguey, compétition du Queer cinema (18 films) — est naturellement le prix Mezcal pour le meilleur premier film mexicain. Ce prix est  choisi par un jury  assez particulier composé de jeunes étudiants et d’enseignants venant du Mexique entier.

Cette année, la section Mezcal présentait un mélange très éclectique et inégal de 22 premiers longs métrages et de documentaires réalisés non seulement au Mexique mais aussi par des réalisateurs mexicains travaillant à l’étranger (en l’occurence l’Irlande, Royaume-Uni et Australie). Et même un long métrage d’animation pour enfants au message pédagogique mais ludique en faisait partie. C’est également dans cette section de films‚ Made in Mexico que le jury FIPRESCI devait choisir notre lauréat.

Stars, paillettes et Red Carpet 

Evidemment, les grands moments du festival étaient des hommages rendus à la délicieuse  Victoria Abril, à l’icône du cinéma mexicaine, la grande Isela Vega, au célèbre réalisateur mexicain et fondateur du festival, Jaime Humberto Hermosillo et au producteur-réalisateur Guillermo del Toro.

Del Toro, né à Guadalajara, qui a dirigé une master-class pour les étudiants du Talent Campus, a d’ailleurs provoqué une controverse lors de sa conférence de presse avec sa critique acerbe de l’insécurité et de la décomposition sociale dans son pays d’origine, où il dit même craindre pour sa propre sécurité.

Mais curieusement, la violence politique et sociale au Mexique, qui a fait plus de 100.000 victimes au cours des dernières années, n’est que rarement présente dans les films des jeunes réalisateurs mexicains que nous avons vus, à l’exception du thriller très efficace sur fond de trafic d’armes de Gabriel Ripstein, 600 Miles (600 Millas), et, bien moins réussi, de When the three 0’clock comes (Cuando de las tres), de Jonathan Sarmiento, dont le huit clos, maladroitement mis en scène, de guérilleros désabusés se veut une dénonciation virulente de l’inaction du gouvernement face à l’oppression et au crime organisé.

Le pays invité cette année était l’Italie avec la présentation d’une très belle sélection de 34 films. Malheureusement, le très attendu invité d’honneur, Bernardo Bertolucci, a dû annuler sa visite à la dernière minute en raison de problèmes de santé et n’a donc pas pu recevoir en personne le Golden Mayahuel Award pour l’ensemble de son oeuvre.

Guadalajara – plus qu’un festival du film

Le marché du film, qui s’efforce de devenir le plus grand événement de l’industrie cinématographique en Amérique latine, a organisé plusieurs réunions pour développer la participation et la coopération sur de nouveaux projets et pour aider à la création de nouveaux canaux de promotion et de financement du cinéma international: ceux-ci incluent les rencontres de co-production ibéro-américaines, la promotion de soutien européen de la vente des films et le Talent Campus, une vraie réussite depuis sept ans maintenant, co-organisé avec la Berlinale.

Un autre point fort du festival fut la projection de Film4Climate, sujet très à la mode et soutenu par la Banque mondiale, qui relie cinéma et changement climatique. Ce sujet brûlant a d’ailleurs inspiré le directeur du festival, Ivan Trujillo, à supprimer à l’avenir, 50% des publications imprimées.

Certes, le choix fait il y a quelques années de déplacer le centre du festival et les principaux lieux de projection du coeur de la ville vers la banlieue monotone de cette deuxième plus grande ville du Mexique, au grand Parc des Expositions et à l’hôtel Hilton juste en face, permet d’avoir à disposition les grandes espaces nécessaires pour développer avec succès le marché et ses diverses activités telles que les réunions de co-production et des ateliers. En revanche, pour les jurys et les invités il était assez laborieux à cause de la circulation pour se rendre aux différents lieux de projection – à savoir deux multiplexes dans des centres commerciaux à l’autre bout de la ville, et un théâtre étonnamment bien équipé dans un bâtiment de l’université. En outre, la salle de projection improvisée installée dans l’Expo, juste à côté du bruyant tohubohu du marché du film, ainsi que celles dans les deux salles de conférence de l’hôtel,  étaient peu adaptées à des projections de films.

Mais l’accueil chaleureux et la grande gentillesse des bénévoles et des organisateurs ainsi que les fêtes généreusement arrosés de tequila, organisées presque chaque nuit, ont compensé un peu la  frustration de se sentir déconnecté de la vie réelle de la ville.

Les  Prix

BreakVers la fin  du festival, les fortes pluies plutôt inhabituelles  qui se déversaient sur Guadalajara n’ont cependant pas pu  gâcher l’ambiance festive de la soirée de clôture, avec une cérémonie de remise des prix très plaisante et parfaitement organisée,  et une énorme fête,  déménagée en urgence dans un lieu abrité.

Le jury du prix Maguey, qui célèbre  sa quatrième édition de « queer cinema» dans cette ville abritant l’une des plus grandes communautés LGBTTTI du Mexique, a récompensé le film suédois Something must break (Nanting måste gå sönder) d’Ester Martin Bergsmark ,

Dans la section documentaire ibéro-américain, le prix a été décerné au film chilien, Tea Time (La Once), de Maite Alberdi, alors que le scénariste-réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamente a reçu deux prix, pour Volcan Ixcanul (Ixcanul) – meilleur film ibéro-américain et meilleur réalisateur. Le film a été d’ailleurs récompensé par le Prix Alfred Bauer un mois plus tôt à la Berlinale.

Le prix du meilleur premier film dans la section ibéro-américain a été attribué à  l’argentin Sebastian Schindel pour The Boss, Anatomie of a crime (El Patrón, radiografía de crimen). Et le mexicain Celso Garcia  est reparti avec pas moins de quatre prix, celui du meilleur scénario, un prix spécial du jury de fiction ibéro-américain, le prix du public ainsi que le prix de la critique mexicaine pour son premier film The Thin Yellow Line (La Linea Delgada Amarilla), un petit bijou doux-amer, magistralement filmé, et produit par Guillermo de Toro.

Enfin, le Prix Mezcal est allé au drame poignant sur fond de trafic d’armes de Gabriel Ripstein 600 Miles (600 Millas), avec Tim Roth en agent de l’ATF qui est enlevé par un jeune trafiquant  mexicain; (il a également reçu le prix du meilleur premier long métrage à la Berlinale 2015.)

Dernier mais non le moindre, notre Prix FIPRESCI a été  décerné à l’unanimité au premier long-métrage documentaire de la cinéaste argentino-mexicaine Natalia Bruschtein, Temps Suspendu (Tiempo Supsendido), un film « qui éclaire la tragédie des «disparus» en Argentine dans les années 1970 à travers l’histoire d’une femme qui se bat pour préserver la mémoire nationale alors même que sa propre mémoire se dérobe “. Il a également reçu le prix spécial du jury de la compétition documentaire ibéro-américain.

Barbara Lorey de Lacharrière