Le 21° Festival international du film de Zanzibar
Vitrine incontournable du cinéma d’Afrique de l’est et de l’Océan indien depuis vingt ans, le Festival international du film de Zanzibar s’est déroulé du 7 au 15 juillet 2018 dans cette superbe île de Tanzanie, posée dans le canal du Mozambique.
Ici comme ailleurs, le cinéma reflète les préoccupations contemporaines des artistes et du public africain. Aussi, c’est aux changements de mentalités que les réalisateurs de cette région s’attaquent. Notamment au rôle traditionnel de l’homme, dominateur dans tous les domaines, que ce soit au sein de sa propre famille (imposant le silence et à la soumission à sa femme et ses enfants) ou dans le domaine plus large de la vie publique et politique (corruption, agression sexuelle, manque d’accès à l’éducation pour les filles et les classes défavorisées). Cette dénonciation d’une attitude ancestrale s’accompagne parallèlement de la remise en question de certains aspects nocifs de la modernité (accumulation des biens matériels et fascination pour l’argent).
Les films récompensés par les principaux jurys montrent bien ces préoccupations ainsi que la diversité du cinéma de cette région du monde.
Silas : No more Bussiness as Usualde Anjali Nyar et Hawa Essuman (Afrique du sud/Canada/Kenya, 2018) a obtenu le prix du meilleur documentaire. A l’initiative d’une association dénonçant les illégalités et le népotisme du gouvernement de la présidente Ellen Johnson Sirleaf (2005-2018), Silas est un activiste politique recueillant les preuves de la vente des biens nationaux aux entreprises commerciales internationales (comme les forêts pour l’exploitation de l’huile de palme). Avec une mise en scène rigoureuse, ce documentaire montre avec clarté les conflits entre le développement économique, le respect des communautés locales, et la protection de l’écosystème.
Le prix du meilleur film de l’Océan indien est allé à Majande Rahman Seifi Azada (Iran, 2017). Dans n’importe quelle famille, un enfant handicapé provoque de nombreux bouleversements mais dans certains pays, les mentalités l’associent à une malédiction et aggravent les tensions. En Iran, une famille est déchirée entre honte et amour maternel. Un film émouvant et bien joué, avec une scène finale à couper le souffle…
Le « East African Talent Award », attribué par l’association SIGNIS et doté d’un prix de 1000 dollars US pour récompenser un jeune cinéaste prometteur, est allé à Kemiyondo Coutinho, actrice et réalisatrice d’un court-métrage impressionnant et courageux, Keynvu. Il dénonce la récente loi ougandaise interdisant le port de la mini-jupe pour éviter les viols. Non seulement la réalisatrice rappelle que ce sont les hommes qui sont responsables des viols et pas la minijupe mais aussi qu’ils doivent prendre leur part dans l’élimination de ces crimes.
Primé plusieurs fois, et en particulier comme meilleur film africain, Supa Modode Likarion Wainaina (Allemagne/Kenya, 2018) continue sa belle carrière depuis la Berlinale. Il est dommage que ce film, qui utilise la magie et les couleurs du cinéma pour embellir le quotidien d’une fillette malade, n’ait toujours pas de distributeur en France.
Enfin, quelques autres révélations du festival. Un film venu d’Ouganda, The Forbidende Kizito Samuel Savior : à travers un groupe d’adolescents, issus de différentes classes sociales, une découverte de la vie à Kampala aujourd’hui. Liyanad’Aaron Kopp : au Swaziland, un orphelinat recueille les enfants dont les parents sont morts du sida et, à l’aide d’un atelier d’écriture et de travaux manuels, leur permet d’exprimer leurs peurs et leurs espérances – ou comment le cinéma nous aide à gérer nos émotions… Enfin The Great Mused’Abdulrahman Kwahi (Arabie saoudite) raconte avec peu de moyens techniques mais une grande inventivité et beaucoup d’humour, les désarrois d’un jeune homme d’une riche famille n’osant pas dire à son père, qui lui impose des études de médecine, qu’il veut être poète !
Cette 21° édition du Festival international du film de Zanzibar a sélectionné de nombreuses femmes réalisatrices, preuve qu’elles existent bien en Afrique ! Mais aussi, à l’ombre des poids lourds du cinéma comme le Nigeria et l’Afrique du sud, le Festival a montré la montée en puissance du Kenya, où existe une véritable politique pour le soutien du cinéma et l’aide aux réalisateurs locaux.
Magali Van Reeth