Disparition de Jean Douchet

Capture d’écran 2019-11-25 à 12.54.31Avec la disparition de Jean Douchet, c’est un ami et un mentor qui s’en va. Cinéphile débutant – balbutiant – et étudiant à l’université de Nanterre, j’y dirigeais le ciné-club, alors l’un des plus importants de France, avec six séances par semaine, plus de mille adhérents. Le mercredi, les cours de Jean Douchet au département de cinéma y avaient lieu, par un échange de services mutuels : nous avions ainsi un orateur « de luxe » et le département bénéficiait gracieusement des films que nous projetions. C’est ainsi que pendant plusieurs années le cinéphile amateur que j’étais, petit à petit, apprit à découvrir les arcanes cachés du cinéma sous les paroles de Jean. Le sens caché des plans de John Ford, les dessous des tournages et des images d’Hitchcock, la beauté de Mizoguchi, la magnifique ascèse du Gertrud de Dreyer, Ozu, Pabst, Lang, les propos de Jean Douchet, expliquaient, montraient, dessillaient. Jamais son enthousiasme ne diminuait à transmettre sa passion. Tout naturellement, quelques années plus tard, je demandai à Jean de faire partie du jury de mon Doctorat d’État. Là sa bienveillance et sa compréhension du cinéma couronnèrent mes études en un bel après-midi – Marc Ferro et lui se relayant pour me gronder de ce qu’ils auraient voulu lire, me féliciter de ce qu’ils avaient lu, m’encourager à continuer à réfléchir sur le cinéma et la politique, puisque c’était le sujet de mon travail. Après, venir le chercher de temps en temps boulevard Morland pour déjeuner. Avoir le plaisir de glisser son nom pour le prix de l’UJC en 2008. Le voir composer des silhouettes et même de véritables rôles au cinéma. Voir la délectation visible de sa participation à la Sale histoire de Jean Eustache ou son parrainage affectueux d’un rôle et de sa caution de Xavier Beauvois pour son Nord si talentueux et si prometteur. Et son éloquence pour aider tant d’autres. Le cinéma français lui doit tant ! Adieu Jean.

Philippe J. Maarek

 Jean Douchet, né en 1929 à Arras, est décédé le 22 novembre dernier. Après avoir collaboré à la Gazette du cinéma d’Éric Rohmer, il fut l’une des plumes les plus suivies des « Cahiers du Cinéma » entre 1957 et 1963. En y analysant les films des jeunes cinéastes qui émergeaient, Truffaut, Godard, Rohmer, Rivette, il devint l’un des principaux acteurs de la Nouvelle Vague par sa seule plume. Après son départ des Cahiers, il devint le grand « passeur » de la cinéphilie en France jusqu’à nos jours. Il enseigna aux universités de Nanterre, Vincennes et Jussieu, puis à l’IDHEC, devenue ensuite Femis. Il tint d’innombrables séances de ciné-clubs ou conférences sur le cinéma un peu partout, de la Cinémathèque Française de Paris à celle de Nice, et bien d’autres lieux. Inspirant de nombreux jeunes cinéastes en devenir, puis contribuant à les faire connaître lorsqu’ils passaient à l’acte, il figura comme acteur dans plusieurs dizaines de films des uns ou des autres. Il réalisa aussi plusieurs essais et documentaires. Il avait reçu en 2008 le prix de l’Union des Journalistes de Cinéma pour l’ensemble de son œuvre.

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