Le 30° Festival de Stockholm

Le Festival international du film de Stockholm a célébré son 30e anniversaire cette année. Helen Barlow s’est entretenue avec sa directrice artistique, Git Scheynius, alors qu’elle faisait partie du jury FIPRESCI de la section Open Zone de l’événement:

SFF2019-Git-Scheynius-Foto-Knut-KoivistoGS:  » Nous voulions créer une nouvelle plate-forme pour un film de qualité à Stockholm, nous avons donc lancé le festival du film en 1990″, se souvient Scheynius. « La première édition n’a duré que quatre jours et s’est transformée en un événement cinématographique toute l’année.« 

Elle l’a créée avec son mari, journaliste à la télévision et autrefois distributeur et acheteur de films, Ignas Scheynius, et Kim Klein, directrice artistique pendant trois ans avant qu’elle ne prenne le relais. Bien que son mari ne fasse pas officiellement partie du festival, son initiative, puis sa connaissance des films et ses contacts avec l’industrie lui ont apporté un soutien précieux:

GS:  » Ignas a pris l’initiative et nous a demandé à Kim et à moi, de le rejoindre. Nous avions trois activités différentes. J’étais productrice, et Kim avait un ciné-club à Stockholm que Ignas et moi-même visitions souvent. Nous avons donc appelé nos amis, environ cinquante personnes, et nous avons lancé le festival sans argent. Nous avions loué un appartement d’une pièce. Nous avions un ordinateur et un fax, et comme nous étions très nombreux dans ce petit appartement, vous deviez réserver votre tour pour l’ordinateur et si vous étiez en retard, vous pouviez attendre jusqu’à 1h du matin pour pouvoir y travailler ! La présentation était de haute qualité et très professionnelle, alors les gens pensaient que nous étions parrainés par SF Studios ou par l’organisme de financement suédois, mais ce n’était pas le cas. Nous avions juste tous travaillé très durement. « 

Alors, comment avez-vous finalement obtenu un financement?

GS: « Il nous a fallu 12 ans avant que le festival puisse être entièrement financé. Ce fut un long combat, mais nous avons toujours eu un très bon soutien de la ville de Stockholm et du public. Ils voulaient vraiment ça. Mon objectif a donc toujours été de nous construire en tant qu’organisation culturelle, non seulement l’événement principal en tant que festival international du film, mais également en tant qu’événement pouvant communiquer avec les enfants. Il était également important d’organiser des projections en extérieur. Après dix ans, nous avons lancé un festival du film pour enfants et des projections en plein air. Environ 25.000 personnes assistent au ‘Stockholm Film Festival Junior’. En outre, en août, nous organisons trois grands événements en plein air et un festival du film sur mobile. « 

Comment avez-vous réussi à gérer le Festival, tout en élevant trois enfants ?

GS: « Ce fut un combat, bien sûr, mais vous devez créer un groupe autour de vous qui vous soutienne, y compris des grand-mères et des amis. Organiser un festival de cinéma n’est pas quelque chose que l’on fait seul. Vous avez besoin de beaucoup de gens. Notre organisation est composée de 14 personnes qui travaillent toute l’année. En août, nous montons à 58 personnes qui travaillent à court terme. Puis, un mois avant le festival, nous en sommes à 400 personnes, et il y a aussi des volontaires bénévoles.

Pourriez-vous nous donner quelques lignes directrices de votre sélection?

GS: « Un tiers du programme SIFF est dédié aux cinéastes débutants. Nous mettons également l’accent sur les films de réalisatrices. Cette année, 40% des films sont réalisés par des réalisatrices. Beaucoup des réalisateurs sélectionnés assistent au Festival. « 

Pourtant, alors que la compétition SIFF compte 17 films dont 6 films dirigés par des femmes, la section « The Open Zone » ne compte qu’un film réalisé par une réalisatrice sur 20 ?

GS: « Cette section est destinée aux cinéastes plus établis. Bien sûr, avec les courts métrages et les documentaires, la représentation féminine est plus élevée. Hélas, plus un film coûte cher, et moins on voit de femmes. C’est un problème dans le monde entier et également dans l’industrie cinématographique. Quand j’ai commencé, j’étais très seule en tant que femme directrice de festival et je pensais que cela pourrait être résolu dans les années qui allaient suivre. Mais ce ne fut pas le cas. Après quelques années, nous avons décidé de rechercher davantage de projets dirigés par des femmes. Cette année, nous avons été très heureux de remettre le ‘Stockholm Visionary Award’ à Céline Sciamma, directrice extraordinairement talentueuse. Nous sommes également heureux que Rosanna Arquette reçoive le ‘Stockholm Achievement Award’ pour sa belle carrière auprès d’auteurs comme Scorsese, Tarantino et Besson, mais aussi parce qu’elle est une icône en matière de harcèlement sexuel. Elle a également participé à un séminaire que nous avons organisé avec le mouvement suédois #MeToo. »

L’autre festival de cinéma suédois de premier plan a lieu à Göteborg. Quels sont vos rapports avec lui?

GS: « Je pense que chaque ville devrait avoir son propre festival. C’est bon pour la vie culturelle et pour la réputation de la ville. La Suède est un pays très vaste et si vous organisez un festival suédois dans le sud du pays, à Göteborg, cela n’implique pas tellement le monde de l’industrie et le public de Stockholm. Nous organisons donc deux grands festivals de cinéma en Suède. L’un est à Göteborg et l’autre à Stockholm. Il n’y a pas de différence entre nous.« 

 Entretien réalisé par Helen Barlow

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Les prix de la compétition officielle:
Meilleur film: Song Without a Name de Melina León 
Meilleur réalisateur: Mark Jenkin pour Bait 
Meilleur premier film: You Deserve a Lover de Hafsia Herzi 
Meilleur scénario: Synonyms de Nadav Lapid et Haim Lapid
Meilleure actrice: Nina Hoss pour The Audition
Meilleur acteur: Bartosz Bielenia pour Corpus Christi 
Meilleure Cinématographie: Inti Briones pour Song Without a Name

Les prix de la section « documentaires »:
Meilleur documentaire: One Child Nation de Nanfu Wang et Jialing Zhang
Stockholm Impact Award: Kantemir Balagov pour Beanpole  
Stockholm Rising Star Award: Celie Sparre 

Courts-métrages  
Meilleur court-métrage: Kingdom Come de Sean Robert Dunn 

Prix FIPRESCI de la Critique Internationale
Grâce à Dieu de François Ozon 

Disparition de Jean Douchet

Capture d’écran 2019-11-25 à 12.54.31Avec la disparition de Jean Douchet, c’est un ami et un mentor qui s’en va. Cinéphile débutant – balbutiant – et étudiant à l’université de Nanterre, j’y dirigeais le ciné-club, alors l’un des plus importants de France, avec six séances par semaine, plus de mille adhérents. Le mercredi, les cours de Jean Douchet au département de cinéma y avaient lieu, par un échange de services mutuels : nous avions ainsi un orateur « de luxe » et le département bénéficiait gracieusement des films que nous projetions. C’est ainsi que pendant plusieurs années le cinéphile amateur que j’étais, petit à petit, apprit à découvrir les arcanes cachés du cinéma sous les paroles de Jean. Le sens caché des plans de John Ford, les dessous des tournages et des images d’Hitchcock, la beauté de Mizoguchi, la magnifique ascèse du Gertrud de Dreyer, Ozu, Pabst, Lang, les propos de Jean Douchet, expliquaient, montraient, dessillaient. Jamais son enthousiasme ne diminuait à transmettre sa passion. Tout naturellement, quelques années plus tard, je demandai à Jean de faire partie du jury de mon Doctorat d’État. Là sa bienveillance et sa compréhension du cinéma couronnèrent mes études en un bel après-midi – Marc Ferro et lui se relayant pour me gronder de ce qu’ils auraient voulu lire, me féliciter de ce qu’ils avaient lu, m’encourager à continuer à réfléchir sur le cinéma et la politique, puisque c’était le sujet de mon travail. Après, venir le chercher de temps en temps boulevard Morland pour déjeuner. Avoir le plaisir de glisser son nom pour le prix de l’UJC en 2008. Le voir composer des silhouettes et même de véritables rôles au cinéma. Voir la délectation visible de sa participation à la Sale histoire de Jean Eustache ou son parrainage affectueux d’un rôle et de sa caution de Xavier Beauvois pour son Nord si talentueux et si prometteur. Et son éloquence pour aider tant d’autres. Le cinéma français lui doit tant ! Adieu Jean.

Philippe J. Maarek

 Jean Douchet, né en 1929 à Arras, est décédé le 22 novembre dernier. Après avoir collaboré à la Gazette du cinéma d’Éric Rohmer, il fut l’une des plumes les plus suivies des « Cahiers du Cinéma » entre 1957 et 1963. En y analysant les films des jeunes cinéastes qui émergeaient, Truffaut, Godard, Rohmer, Rivette, il devint l’un des principaux acteurs de la Nouvelle Vague par sa seule plume. Après son départ des Cahiers, il devint le grand « passeur » de la cinéphilie en France jusqu’à nos jours. Il enseigna aux universités de Nanterre, Vincennes et Jussieu, puis à l’IDHEC, devenue ensuite Femis. Il tint d’innombrables séances de ciné-clubs ou conférences sur le cinéma un peu partout, de la Cinémathèque Française de Paris à celle de Nice, et bien d’autres lieux. Inspirant de nombreux jeunes cinéastes en devenir, puis contribuant à les faire connaître lorsqu’ils passaient à l’acte, il figura comme acteur dans plusieurs dizaines de films des uns ou des autres. Il réalisa aussi plusieurs essais et documentaires. Il avait reçu en 2008 le prix de l’Union des Journalistes de Cinéma pour l’ensemble de son œuvre.

L’an 1 du TIFF de Toronto pour le duo Bailey-Vicente sous le signe de la parité et de la diversité

Les yeux de la profession cinématographique étaient tournés vers la 44eédition du Festival International du Film de Toronto – désormais connu en Amérique du Nord sous son acronyme, TIFF. Elle marquait en effet l’an 1 de la nouvelle direction du Festival, après plus de deux décades sous la direction de Piers Handling, qui en a fait l’un des plus importants rendez-vous du cinéma mondial.

Bailey VicenteLa transition avait en fait été préparée de longue date, puisque Cameron Bailey, le nouveau co-directeur et directeur artistique du festival avait été intronisé dans cette seconde fonction dès 2012. Certes nouvelle du côté du manche, mais fréquente habituée du festival comme invitée, était sa co-directrice et directrice exécutive, Joana Vicente, venue de la production indépendante new-yorkaise. La transition avait donc tout pour se faire en douceur, et, en vérité, un observateur non averti n’aurait sans doute pas vu trop de différences entre le millésime précédent de la manifestation et celui de 2019, ce qui est sans aucun doute un compliment. En effet, ce n’est pas une petite affaire que de piloter sans heurts une opération aussi colossale sur trois registres au moins : la sélection de plus de 300 film internationaux ; l’organisation de projections publiques attirant des dizaines de milliers de Torontois; l’accueil des professionnels internationaux du cinéma pour ce qui est tacitement devenu l’un des principaux marchés du film de l’année.

C’est aussi apparemment sans heurts que le tandem Bailey-Vicente a renouvelé une bonne partie de l’équipe permanente du festival, du côté de la programmation, comme de l’accompagnement des films. L’équipe de programmation était en particulier pour la première fois dotée d’une directrice au côté de Cameron Bailey, Diana Sanchez, ancienne directrice artistique du festival de Panama, entre autres. « Elle constitue l’apport le plus important du Festival de Toronto cette année de mon point de vue » nous a confié Cameron Bailey. Le reste de l’équipe a également vu de nombreuses transformations en 2019, de la promotion de Jennifer Frees comme Vice-Présidente des partenariats à la nomination d’une directrice intérimaire de la Communication, Alejandra Sosa, qui avait pourtant l’air de connaître la manœuvre comme une vétérane.

Pour les festivaliers, la continuité entre 2018 et 2019 fut surtout visible par l’importante place faite à la diversité, et surtout au cinéma féminin et à la parité, qu’il s’agisse aussi bien de l’équipe de programmation que des films sélectionnés. Toronto sembla ainsi remiser aux oubliettes de l’histoire le Festival de Venise 2019 qui se vantait crânement de ses choix « non genrés ». Une constante, sans aucun doute, chez Cameron Bailey, qui oriente depuis quelques années la sélection dans ce sens – son passé personnel d’enfant britannique immigrant au Canada mais d’une famille originaire de la Barbade jouant sans aucun doute ici. Un très beau choix de films réalisés par des femmes, et non des moindres, montra en effet qu’il suffit de se pencher suffisamment pour trouver de nombreux films de qualité faits par des femmes en 2019 ! Le bouche-à-oreille dans ce sens fut sans aucun doute mené par l’excellent Proximad’Alice Vinocour, dans la section « Platform ».Proxima

La réalisatrice parvient à renouveler le genre du cinéma de la conquête de l’espace en montrant avec une mise en scène toute en nuances comment une jeune femme, astronaute s’entraînant à une mission d’une année, tente de concilier son absence à venir et déjà forte avec sa situation de mère séparée d’une petite fille. Le rôle est tenu avec un brio tout de retenue par une Eva Green remarquable qui fait ici un beau retour au premier plan. Elle est sans doute bien partie pour les Oscars ! Fort remarqué également, cette fois dans la section « Galas », fut A beautiful Day in the Neighborhood, réalisé par Marielle Heller, qui donne ici une partition en or à Tom Hanks, dans l’un de ses plus beaux rôles. Il personnifie à merveille Mr Rogers, le présentateur durant plusieurs décennies d’une émission de télévision pour les enfants à l’empathie extraordinaire. Ajoutons encore, rien Lopezque pour la section « Galas », le populaire – et un peu tapageur – Hustlers, dû à Lorene Scafaria, dont Jennifer Lopez est la vedette en strip-teaseuse au grand cœur, et d’autres encore, puisque la parité hommes-femmes était quasiment atteinte dans toutes les sections du festival. La preuve fut largement faite à Toronto que l’on peut aujourd’hui alimenter un festival de cinéma avec des films de femmes en nombre…

Jojo Rabbit« Prix Grolsch » du public

On sait que le Festival de Toronto est non compétitif, ce qui est l’un de ses principaux atouts, notamment pour les productions hollywoodiennes qui ne le dédaignent pas, d’autant que ses projections publiques en font quasiment des tests pour les distributeurs. Quelques prix y sont toutefois décernés, à commencer par le « Prix Grolsch » du public, qui revint cette année à Jojo Rabbit, une comédie grinçante de Taika Waititi. Elle suit les pas d’un petit garçon embrigadé dans les jeunesses hitlériennes durant la Seconde Guerre Mondiale. Il croit voir Hitler le guider dans des visions incarnées par le réalisateur lui-même, qui le ridiculise de plus en plus au fur et à mesure de l’avancement du film. Le « Prix Canada Goose » du meilleur film canadien revint à Antigone, de la québécoise Sophie Deraspe, une transposition contemporaine à Montréal du drame de Sophocle. Parmi les autres prix décernés à Toronto, on citera bien sûr les deux Prix Fipresci de la Critique Internationale, l’un pour la section « Discovery », qui échut à Murmur, de la canadienne Heather Young, et l’autre pour la section « Présentations Spéciales », qui échut à How to build a Girl, de la britannique Coky Giedroyc – à nouveau deux films réalisés par des femmes! Le prix du jury de la section « Platform », enfin, se tourna vers Martin Eden, une coproduction Italo-française de Pietro Marcello tournée en Super 16 mm.

Naturellement, le festival de Toronto, avec ses trois centaines de films, ne se résume pas aux quelques titres que nous avons cités. Le public se pressa ainsi en particulier aux projections des films directement venus de Venise, à commencer par Ad Astra, de James Gray. Ce film relance de manière spectaculaire la carrière de Brad Pitt, tout de mesure en astronaute introverti à la recherche de son père perdu dans les cieux. JokerOn vit aussi à Toronto le « Lion d’Or » de Venise, Joker, de Todd Philips, qui renouvèle le genre du film de « superhéros » et remet brillamment en orbite Joaquim Phoenix. En revanche, le grand absent fut le Lion d’Argent de Venise, J’accuse de Roman Polanski, le réalisateur étant banni d’Amérique du Nord pour les raisons que l’on sait.

Éclectique, divers, le Festival de Toronto accueille aussi des films expérimentaux dans sa section « Wavelengths », des films d’horreur ou « marginaux » dans sa section « Cinéma de Minuit », des documentaires, et même une section de séries télévisés pour sa cinquième édition, renouvelée sous l’égide du programmeur Geoff Macnaughton… Bref, de quoi satisfaire le public de Toronto, dont on admire chaque année la patience inébranlable à faire des queues de plusieurs heures pour voir des films d’auteurs inconnus des salles de cinéma de la ville en temps ordinaire! L’ouverture du TIFF au public local se traduisit d’ailleurs aussi par la piétonisation de la rue qui borde le « Bell Lightbox », durant le premier week-end. Concerts gratuits, distribution de cadeaux en tous genres et « food-trucks » bariolés, ajoutèrent au côté bon enfant du festival.

Les professionnels au rendez-vous du premier week-end

Les professionnels du cinéma du monde entier furent à nouveau en 2019 au rendez-vous de Toronto, qui devient semble-t-il de plus en plus le marché du film terminé, par opposition à Cannes où l’on achète les films sur projets. Comme à l’accoutumée, ils se bousculèrent lors du premier week-end. Ils trouvaient dans l’hôtel Hyatt, leur quartier général, une bibliothèque de visionnement du festival, et les stands de plusieurs organismes de promotion du cinéma.

Unifrance, l’organisme de défense du cinéma français, était bien sûr là, avec un grand stand extrêmement actif, tout comme « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma, qui compta au sein de la programmation du festival la Miami_Film_Market©Laurent CampusUniFrancebagatelle de 54 longs métrages où intervenaient producteurs ou acteurs découverts par ses opérations « Producers on the move » ou « European Shooting Stars ». Le Dga d’Unifrance, Gilles Renouard, et la directrice d’EFP, Sonia Heinen, profitèrent d’ailleurs de leur présence simultanée au festival pour signer un accord lançant une entreprise commune de promotion du cinéma, « Le marché de Miami du cinéma français et européen », au côté de Jaie Laplante, le directeur du Festival de Miami (Photo).

Le problème Netflix aussi à Toronto

La controverse internationale qui concerne les films produits ou achetés par Netflix s’introduisit à Toronto de façon inattendue. Le Festival, comme Venise, par exemple, accepte tous les films que ses programmateurs jugent dignes d’être sélectionnés. Il a ainsi programmé Roma dès l’an dernier. Mais cette année, il fut gêné dans son organisation par la décision de la société Cinéplex de refuser d’accueillir les films liés à Netflix ou toute autre compagnie de streaming vidéo direct dans la multisalle qui héberge l’essentiel des projections réservées à la presse et aux professionnels, le « Scotiabank ». Les salles de cinéma nord-américaines réclament en effet en général une fenêtre d’exclusivité de 90 jours avant le passage au streaming forfaitaire. Le festival dut donc reprogrammer une bonne douzaine de films et les loger in extrémis dans ses propres salles, celles du « Bell Lightbox ». Un contretemps transparent pour les festivaliers, certes.

Sans aucun doute, avec le bonus constitué par leur ligne directrice paritaire et diverse de qualité, Cameron Bailey et Joanna Vicente ont bien maintenu en 2019 le Festival International de Toronto 2019 comme l’un des quatre plus grands rendez-vous du cinéma mondial, avec Berlin, Cannes et Venise.

Philippe J. Maarek

Pour la libération de Mohammed Rasoulof

Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 28 juillet 2019

Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, vainqueur du Prix Un Certain Regard Cannes 2017 pour son film « Un homme intègre », a été condamné à 1 an de prison ferme, suivi de 2 ans d’interdiction de sortie du territoire et d’interdiction de se livrer à la moindre activité sociale et politique. Cette condamnation suit une autre condamnation à un an de prison qu’il avait subie en 2011, et à une interdiction de voyager hors d’Iran et de travailler qui lui avait été signifiée en 2017.

L’Union des Journalistes de cinéma qui avait déjà protesté antérieurement contre les privations de liberté et de travailler de Mohammed Rasoulof appelle à signer la pétition mise en ligne par son distributeur français, ARP Sélection, demandant  que sa liberté lui soit rendue sans plus tarder afin qu’il puisse continuer à créer. On peut la signer à l’adresse: https://www.change.org/p/pour-la-libération-de-mohammad-rasoulof

 

 

Once upon a time in Hollywood… et à Cannes 2019: Quentin Tarantino combat le gang Manson et les médias et est heureux avec sa femme…

960x614_quentin-tarantino-femme-daniela-pick-tapis-rouge-festival-cannes-18-mai-2019A la veille de la cérémonie du Palmarès du Festival de Cannes, le traditionnel dîner des « présentateurs des prix » s’est tenu sous la tente de l’Agora près du Palais des Festivals. Aux tables approvisionnées par le chef Bruno Ogier,  étaient assis, entre autres, Catherine Deneuve et sa fille Chiara Mastroianni, Sylvester Stallone, Michael Moore, Alejandro Inarritu et ses collègues du Jury, le Délégué général Thierry Frémaux, le Président Pierre Lescure, et Quentin Tarantino et son épouse Daniella Pick. A la fin du dernier met, les musiciens Mariachis mexicains sont entrés dans la salle – en l’honneur du président du jury – et ont fait sursauter les convives avec des chansons rythmées bien connues. Tarantino, qui adore les fêtes, chantait à tue-tête et Daniella l’a rejoint. Je lui ai demandé si, en tant qu’ex célibataire endurci, il était satisfait de s’être marié (avec une chanteuse d’origine israélienne). « Je suis très heureux et fier de ma femme israélienne« , s’est exclamé Tarantino avec enthousiasme, retournant au chant et à la danse mexicaine. Danielle a poursuivi en disant que leur mariage jusqu’à présent était heureux, que Quentin était un mari sensible et aimant, et que ce mariage allait durer longtemps.

 Plus tôt, lors de la conférence de presse de son film Once upon a time in Hollywood, on a demandé à Tarantino si et comment il avait changé depuis sa venue au festival il y a vingt-cinq ans, quand il avait raflé la Palme d’or avec Pulp fiction. Sa réponse a fusé immédiatement : « Je me suis marié il y a six mois, je n’avais jamais fait ça avant, et maintenant je sais pourquoi… j’ai juste attendu la bonne fille. » Daniella a vraiment prouvé à Cannes que Quentin ne pouvait pas se passer d’elle, elle s’est occupée de tous les petits détails des événements dans lesquels son mari était impliqué, s’est assurée qu’il avait l’air aussi correct que possible et tous les deux ont souvent fait preuve devant tous de leur affection mutuelle. Bref, à l’âge de cinquante-six ans, l’enfant terrible d’Hollywood a finalement volontairement succombé à sa « dresseuse » et semblait très content tout en ne dédaignant pas de continuer à courir à toute allure pour son plaisir afin de s’affronter aux médias.

Le lendemain, Tarantino était le seul des participants du dîner n’ayant reçu aucun prix mais il a choisi quand même de rester à Cannes et de monter les marches du Palais des Festivals, profitant jusqu’à la dernière minute de la fête. La participation de Tarantino n’était pas considérée comme acquise, dix ans après queInglourious basterdsait participé à la compétition sans être primé. Certes, il y a vingt-cinq ans, Cannes a donné un formidable coup de pouce à sa carrière en remettant la Palme d’Or à Pulp fiction, mais depuis, il est reparti bredouille (sauf pour le prix le prix du meilleur acteur décerné à Christoph Waltz pour Inglourious basterd. Tarantino a blâmé les médias, en particulier les médias américains, et a été considéré par eux comme l’un des principaux responsables de la décision du festival prise l’année dernière d’annuler les avant-premières pour les journalistes qui suivent le festival. Une décision sur laquelle on est d’ailleurs en parti revenu cette année, notamment grâce à l’intervention de l’Union des Journalistes de Cinéma. Le Délégué général du festival Thierry Frémaux expliquait à l’époque cette décision par sa volonté   « de ne plus voir les équipes monter avec des mauvaises mines sur le tapis rouge« . Tarantino lui-même a dit à VanityFair: « Ce festival m’a laissé un goût amer. J’étais très excité par la première projection du film pour la presse à 8h30 du matin, mais voir tous ces gens courir vite de la projection pour être les premiers à publier les critiques déjà préparées… c’était un peu déprimant, ça a brisé la magie, je ne me souviens pas d’une telle fièvre, autrefois les gens prenaient  plus du temps pour digérer les films, il y avait de la bonne volonté … Aujourd’hui, je ne suis pas prêt à m’entretenir en tête-à-tête avec un journaliste américain. Cela me coûte trop cher… « 

Les entrevues formelles ont donc été uniquement menées en groupes ou en conférence de presse, dans une atmosphère de suspicion et de pression de la part de la production. Tarantino a su attiser la colère de nombreux journalistes lorsqu’il leur a demandé dans un communiqué spécial avant la projection, d’éviter le « spoiler » et de ne pas révéler le tournant de l’intrigue « afin de ne pas nuire au plaisir des futurs spectateurs ». Et ce, pour un film officiellement en compétition à Cannes…

Les « responsables » de la production qui l’entouraient semblaient également se soucier du « politiquement correct » et imposaient aux journalistes d’éviter les sujets délicats, comme les agissements du producteur Harvey Weinstein, que Tarantino décrivit pourtant un jour comme « un père qu’il n’avait jamais eu…« . Ou de poser trop de questions sur le sor d’un des personnages deOnce upon a time in Hollywood, le réalisateur Roman Polanski. Cependant, il était un peu difficile d’ignorer Polanski, (qui est incarné dans le film par un acteur polonais), puisque que l’horrible meurtre de sa femme, l’actrice Sharon Tate à l’âge de vingt-six ans, alors qu’elle était enceinte de huit mois, par la bande de hippies fous de Charles Manson est un paradigme central du film, même si les choses à l’écran « se passent » finalement, comme dans les Basterds, dans le monde fictif de Tarantino. Et que le rêve de vie du héros du film, un acteur « perdant » interprété par Leonardo Di Caprio, est d’être invité chez ses voisins, Polanski et Sharon Tate…

once-upon-a-time-in-hollywood-affiche-1024108« Je n’ai pas jugé cela nécessaire« , a-t-il répondu quand on lui a demandé s’il avait consulté Polanski au sujet du scénario, en disant juste : « Je suis fan de Rosemary’s Baby. », mais en ajoutant : « Je n’ai pas dit qu’il était alors le plus grand réalisateur de son temps, seulement le plus célèbre. Et le couple qu’il formait avec Sharon Tate symbolisait alors la quintessence d’Hollywood.« 

« Je rejette cette hypothèse« , a-t-il répondu vivement à une journaliste trouvant qu’il n’avait pas donné assez de texte à Margot Robbie (qui joue Sharon Tate). Il a alors laissé Robbie expliquer que ce n’était pas la longueur du texte qu’elle avait à dire dans Once upon a time in Hollywoodqui comptait dans l’hommage vraiment émouvant qu’elle y a rendu à l’actrice assassinée.

Quant à Emmanuelle Seigner, l’épouse actuelle de longue date de Roman Polanski, ellea réagi avec colère à la projection du film, non pas à cause de son contenu, mais à cause de ce qu’elle a dénommé « l’hypocrisie » du comportement hollywoodien qui a chassé Polanski de l’Académie des Oscars tout en profitant de son histoire : « Comment peut-on se servir de la vie tragique de quelqu’un tout en le piétinant ? (…) donc de faire du business avec cela, alors que de l’autre côté, ils en ont fait un paria« 

D’énormes ressources ont été investies dans la reconstruction de la période des années 1060 pour Once upon a time in Hollywood. Tarantino connaît par cœur tous les personnages et films de la fin des années 60 (et nous a donné, par exemple, un portrait amusant de Bruce Lee ou plus respectueux de Steve McQueen…). « C’est probablement la dernière production qui peut reproduire ce qu’était Hollywood, nous n’avons pas fait d’effets numériques, nous avons construit des décors, il est difficile de trouver quelqu’un prêt à dépenser autant d’argent pour une reconstitution, la ville change si vite. Comme si vous couriez sur un pont en feu, et sentiez les flammes vous poursuivre derrière vous« , a déclaré Tarantino à CanalPlus. « A propos de Manson, nous avons essayé de faire des recherches pour savoir comment il avait réussi à rallier ces jeunes hommes et femmes autour de lui – sans trop de succès« …

Dans les rôles principaux, Tarantino a choisi deux acteurs qui ont déjà travaillé avec lui, Leonardo Di Caprio, ici acteur de westerns sur le déclin, et Brad Pitt, son alter ego et cascadeur. « Tous deux sont des acteurs exceptionnels, et deux des plus grandes stars de notre époque, j’ai déjà travaillé avec eux deux, et ils ont bien réagi à mes demandes, » dit-il. » J’aime les acteurs qui travaillent vraiment sur le personnage, y investissent et se demandent qui est l’homme, même s’ils n’ont pas de réponses immédiates, ils continuent à enquêter, l’histoire est moins importante pour eux, ils me laissent y penser…et en bons acteurs ils connaissent aussi leur rôle par cœur… « .

Quand on a demandé à Tarantino si, comme dans Once upon a time in Hollywood, il pouvait changer, avec une baguette magique, le cours de l’histoire, il a répondu: « Je changerais beaucoup de choses si j’avais la capacité de changer le cours de l’histoire dans la vie réelle… D’abord, je claquerais des doigts et tous ces appareils photo numériques disparaîtraient, et tous les films seraient projetés en 16, 35 ou 70 mm…  Et les téléphones portables n’auraient pas du tout été inventés... »

Après les projections à Cannes, Tarantino a annoncé qu’il remontera le film pour sa sortie en salles à la mi-août. La version « cannoise » de deux heures et trente-neuf minutes lui semble trop courte : « Le film n’est pas fini… Je voulais présenter la version la plus serrée à Cannes… pour moi, le dernier montage est la version finale du script… J’avais un bon film dans la tête… Je l’ai eu pendant des années et j’ai l’impression d’avoir eu le film que je voulais. Comme tous mes films, et c’était l’un des plus durs à faire« .

Tarantino a dit un jour qu’il ne ferait que dix longs métrages. C’est le neuvième. Des rumeurs insistantes prétendent qu’il dirigera le prochain StarTrek, mais il le nie: « Je n’ai aucune idée de ce que sera le prochain film…. Je travaille sur un film pendant des années, puis parfois je me repose un an, et souvent pendant cette année une idée apparaît…« 

Quant à l’idée pour ce dernier dixième film : « C’est drôle que je n’en ai aucune idée cette fois, mais je ne suis pas pressé, j’ai dit que je me retirerais avec dix films – ou quand j’aurai soixante ans, au premier des deux termes échus, alors peut-être que j’en aurai soixante sans faire un film…« 

Gidéon Kouts

PALMARES DU FESTIVAL

ob_51287d_ob-4ecf4f-3580Palme d’or

Gisaengchung (Parasite) réalisé par BONG Joon-Ho

Grand prix

Atlantiqueréalisé par Mati DIOP

Prix de la mise en scène

Le jeune Ahmedréalisé par Jean-Pierre & Luc DARDENNE

Prix du jury ex-æquo

Les misérablesréalisé par Ladj LY     &

Bacurauréalisé par Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles

Prix d’interprétation masculine

Antonio Banderas dans Dolor y gloria réalisé par Pedro ALMODÓVAR

Prix d’interprétation féminine

Emily Beecham dans Little Joeréalisé par Jessica Hausner

Prix du scénario

Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu

Mention spéciale

À Elia Suleiman pour It must be heaven

(qui a également obtenu le prix FIPRESCI de la Critique Internationale pour la compétition)

Courts métrages

Palme d’or

The distance between us and the sky réalisé par Vasilis Kekatos

Mention spéciale du jury

Monstruo diosréalisé par Agustina San Martín

Les prix de l’UJC 2019

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Sans titreLors d’une cérémonie de remise de prix organisée en partenariat avec l’Association de la Presse Etrangère à la Mairie du 4° arrondissement de Paris, l’Union des Journalistes de Cinéma a remis ses quinzième prix annuels, destinés à mettre en valeur les métiers du journalisme cinématographique. Quatre prix ont été décernés en 2019 par le jury formé par le Conseil de l’UJC:

• le Prix de l’UJC 2019,pour l’ensemble de sa carrière, à Marie-Noëlle Tranchant (« Le Figaro »)

le Prix de l’UJC 2019 de la jeune critiqueà Jean-Baptiste Heimburger (« Amorces.net »)

• le Prix de l’UJC de la meilleure biographie ou du meilleur entretien 2018 à Yann Tobin (NT Binh) pour “la série d’entretiens sur les comédies musicales” dans « Positif  » d’octobre 201

• La Plume d’Or 2018 du journalisme de cinéma de la Presse étrangère en France, enfin, a été décernée pour la treizième fois conjointement par l’UJC et l’Association de la Presse Etrangère à Helen Barlow, journaliste australienne qui couvre le cinéma français depuis 30 ans

Enfin, l’Association de la Presse Etrangère remit son « Prix de la Mémoire du Cinéma » au compositeur Vladimir Cosma après la projection d’un clip effectuant un efficace florilège d’échantillons de ses musiques les plus célèbres.IMG_9566

Conditions de travail des journalistes à Cannes

Communiqué de presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du  21 février 2019

Suite aux expériences positives notamment menées par les festivals de Venise et de Berlin, l’Union des Journalistes de Cinéma demande au Festival de Cannes de revenir à un calendrier de projection des séances de presse permettant aux journalistes et critiques de cinéma de voir les films en temps utile. Il s’agit de laisser ainsi le temps aux journalistes, notamment de la presse écrite, de faire leur travail – et particulièrement aux journalistes étrangers.

L’Union des Journalistes de Cinéma propose qu’en contrepartie de ce rétablissement du calendrier habituel des projections de presse, les journalistes signent à réception de leur accréditation un engagement d’embargo absolu de publication avant la fin de la projection de gala, comme à Berlin et à Venise, afin de ne pas risquer une remise en question de leur accréditation.

NB: communiqué repris dans la presse professionnelle étrangère, voir notamment https://www.screendaily.com/news/french-critics-call-on-cannes-to-reinstate-former-press-screening-schedule/5137168.article

Berlinale 2019: la fin d’une époque

Dieter_KoslickLa 69° édition du Festival de Berlin aura marqué la fin d’une époque à un double titre, conjoncturel, mais aussi structurel. Conjoncturel, tout d’abord, puisqu’il s’agissait de la dernière manifestation sous la direction de Dieter Kosslick, qui était à sa tête depuis le début du siècle. Mais le changement de 2020 sera également structurel, puisque, pour la première fois, comme à Toronto, le Directeur artistique ne sera que le co-Directeur de la Berlinale, accompagné d’une co-Directrice administrative, mettant ainsi fin à la (relative) toute-puissance dont bénéficiaient les anciens directeurs uniques de la manifestation. Il est vrai que le remplacement de chaque poste de direction par un duo ou un trio montre bien que l’expansion de la manifestation oblige à répartir le travail. Le renouvellement des responsables de la Berlinale aura donc été total en trois ans :

  •  • 2018, retraite du directeur de longue date de la section Panorama, Wieland Speck, au travail d’ailleurs récompensé cette année par une « Berlinale Caméra », remplacé par un trio formé de Paz Lazaro, Michael Stütz, et Andreas Struck
  •  • 2019, après le départ de la tête du Forum International du Jeune Cinéma de Christophe Terhechte, parti à la direction artistique du Festival de Marrakech, direction provisoire par un trio formé de Milena Gregor, Birgit Kohler et Stefanie Schulte Strathaus
  •  • 2020, arrivée à la co-Direction artistique de la Berlinale de Carlo Chatrian, ancien directeur du Festival de Locarno et de Mariette Riessenbeek, professionnelle bien connue du cinéma allemand.

Tout cela donnait donc à la 69° édition de la Berlinale une impression générale d’être celle de la fin d’une époque. Dieter Kosslick, avec son sens des relations publiques et son dynamisme, a permis une expansion considérable du festival, et sa professionnalisation, avec l’essor du Marché du Film, mais aussi l’opération Talent Campus. Cette dernière Berlinale sous son égide a aussi montré son efficace volonté de rééquilibrer la place des femmes. Signant avec emphase pendant le festival la « Charte pour la parité » que plusieurs autres festivals internationaux ont déjà adoptée, Dieter Kosslick a terminé son mandat en mettant un point d’honneur cette année à composer un jury comme une sélection officielle où les femmes n’avaient jamais eu autant d’importance – et dédiant même, de façon certes un peu décousue, une partie de la rétrospective aux réalisatrices.

Un palmarès équilibré sous la houlette de Juliette Binoche

SynonymPrésidente du jury, Juliette Binoche a su obtenir de lui un palmarès équilibré qui ne prête pas à contestation. L’ours d’or est revenu à Synonymes, coproduction franco-germano-israélienne dirigée par l’israélien Nadav Lapid, une introspection tragicomique sur l’identité et la difficulté de se distancier de son passé et de ses racines. Le jury a ainsi, une fois n’est pas coutume, rejoint le prix Fipresci de la Critique internationale de la compétition qui a été décerné au même film. Le challenger a été François Ozon pour son Grâce à Dieu, qui a obtenu l’ours d’argent, Grand Prix Spécial du Jury, une récompense reconnaissant l’intelligence avec laquelle le réalisateur a su changer son fusil d’épaule et donner un nouveau tournant à sa carrière, loin de ses thématiques habituelles, en s’emparant avec finesse du sujet d’actualité constitué par la pédophilie dans l’Église. Ours d'argentLes ours d’argent des meilleurs acteurs sont, assez exceptionnellement, revenus à deux acteurs d’un même film, Young Mei et Wand Jingchunn, qui mènent de bout en bout Adieu mon filsdu chinois Wang Wiaoshuai,. L’ours d’argent de la meilleure réalisation a été décerné à l’allemande Angela Schalelec pour son Ich war zuhause, aboer, et celui du meilleur scénario au trio formé par Maurizio Braucci, Claudio Giovannesi et Roberto Saviano pour La Paranza dei bambini, de l’italien Claudio Giovanesi. L’Ours d’argent de la meilleure direction artistique a été attribué à Rasmus Videbaek pour Out stealing horses, de Hans Petter Moland.Enfin le Prix Alfred Bauer est revenu à l’allemande Nora Fingschedt, pour son System Crasher.Pas vraiment d’omission dans ce palmarès équilibré, donc, pour une sélection qui l’était sans doute un peu moins. En effet, Hollywood, et même le cinéma indépendant américain, y étaient représentés par une seule fiction, Vice, d’Adam McKay, déjà largement vu et sorti en salles aux États-Unis. L’effet de proximité du festival de Sundance a ici clairement joué pour tarir un tant soit peu cette source. C’est sans aucun doute pour cela que la nouvelle équipe a annoncé retarder légèrement la prochaine Berlinale, qui aura lieu du 20 février au 1ermars, pour mettre un peu de temps entre les deux manifestations. On signalera par ailleurs le retrait de la compétition de dernière minute du dernier film de Zhang Yimou, One second,pour des « raisons techniques » qui semblent s’apparenter à de la censure, le film traitant de la « Révolution Culturelle ».

Dans les autres sections

Dafne 2La Berlinale, ce n’est pas seulement la compétition, mais aussi en particulier deux sections d’importance, donc, Panorama et le Forum, donnant ainsi du fil à retordre aux festivaliers voulant parvenir à voir toutes les nouveautés les plus intéressantes. Le prix Fipresci de la section Panorama vint à juste titre souligner les qualités de Dafne, second long métrage de l’italien Federico Bondi, qui donne un joli rôle à l’actrice Carolina Raspanti, en jeune femme qui parvient à soutenir son père désorienté par la mort subite de sa mère. Pour le Forum, c’est Die Kinder der Toten, film allemand de Kelly Copper et Pavol Liska qui reçut le prix Fiprresci de la Critique Internationale de cette section, soulignant la hardiesse de l’adaptation de « Des enfants des morts », le roman bien connu d’Elfriede Jelinek où les morts reviennent pour tourmenter les vivants dans une petite pension des Alpes. Si l’on ajoute au Forum et à Panorama les sections « Génération » destinées aux films pour les jeunes, la rétrospective, l’originale section « cinéma culinaire », etc., on comprend mieux comment plus de 300.000 Berlinois ont été attirés dans les salles de la Berlinale à travers toute la ville, puisque le festival ne se résume pas aux salles de la Potsdamerplatz depuis plusieurs années, mais se multiplie dans nombre de cinémas un peu partout dans Berlin.

Un marché du film de plus en plus étendu

IMG_7998 2Le « Marché du Film Européen » qui avait été fondé par Beki Probst est maintenant bel et bien un marché mondial. Il est maintenant dirigé par Matthijs Wouter Knol, qui avait donné cette année une place d’honneur au cinéma norvégien. Du coup, pour la première fois, non content de répartir ses stands sur trois lieux tout autour de la Potsdamerplatz, le Marché avait créé ex-nihilo un grand espace provisoire sous une grande tente dédié à la Norvège, juste en face du Martin Gropius Bau, le musée qui héberge le quartier général du marché. Les professionnels français y étaient particulièrement visibles, non seulement par l’étendue du stand « parapluie » d’Unifrance, de plus en plus imposant d’année en année, mais aussi par la présence quasiment à tous les coins du bâtiment de l’une ou l’autre de nos grandes compagnies, qui prennent un stand à part.

Si l’on ajoute la réussite persistante de l’opération Talent Campus, qui accueille des jeunes professionnels du monde entier et a connu des développements ou des imitations un peu partout dans le monde, Carlo Chatrian et Mariette Riessebeek ont donc du pain sur la planche pour donner à la 70° édition de la Berlinale, l’an prochain, un éclat qui permettra de prolonger le travail de « l’ère Kosslick »!

Philippe J. Maarek

Un beau dernier Festival de Toronto pour Piers Handling !

La 43e édition du Festival International du Film de Toronto était particulièrement attendue, puisque son directeur depuis 1994, Piers Handling, avait annoncé en 2017 que ce serait son dernier à sa tête. Ce fut, en vérité, un chant du cygne fort réussi, avec une manifestation ouverte à toute l’étendue du spectre du cinéma mondial tout en sachant se focaliser sur l’essentiel.

2016 Toronto International Film Festival - "The Magnificent Seven" Premiere - ArrivalsDès 2017, Piers Handling, accompagné par son directeur artistique et futur co-directeur de la manifestation, Cameron Bailey, avait en effet entamé une intelligente évolution du festival qu’il a poursuivi avec constance cette année. Cette évolution a suivi deux directions : une internationalisation du festival plus accentuée et une concentration sur un nombre plus restreint de films. L’internationalisation du festival, tout d’abord, a été la plus forte de son histoire, semble-t-il, puisque pas moins de 83 pays différents étaient représentés dans ses diverses sections. Quant à la réduction du nombre de films décidée il y a un an, elle a été volontairement maintenue, puisque l’on en est resté à 256 longs métrages, à peu près comme en 2017, au lieu des 296 longs métrages de2016 – sur près de 8000 proposés aux sélectionneurs cette année, soit 800 de plus que l’an dernier !

Deux autres caractéristiques fortes sont aussi à mettre à l’actif du millésime 2018 du festival : la diversification et l’ouverture, avec l’intégration sans heurts de Netflix et autres.

La diversification, tout d’abord, montre à quel point Toronto a su rester en phase avec la société actuelle, mobilisée partout dans le monde par le mouvement « Me Too ». 34% des films présentés au TIFF 2018 étaient en effet dirigées par des femmes, un mouvement déjà engagé l’an dernier, d’ailleurs (33%), avant même que l’affaire Weinstein ne survienne. Alors que plusieurs autres festivals majeurs du calendrier mondial ne présentent qu’un nombre homéopathique de films dirigés par des femmes, cela prouve bien que ces films existent dès lors qu’on veut bien se donner la peine de les trouver, mais aussi de les mettre en valeur.  High life de Claire Denis, qui représentait la France en Gala, fut par exemple l’un des films les plus courus, et le festival n’hésita pas à organiser des projections supplémentaires destinées à la presse et l’industrie, devant son succès.

La diversification, ce fut également l’invitation pour la première fois de près de 200 journalistes spécialement choisis pour leur diversité (genre, médias, nationalité…) pour signifier ce tournant pris par le festival.

KingL’ouverture, enfin, se manifesta par l’acceptation sans heurts des productions Netflix, qui permit au public et aux professionnels d’avoir ainsi un aperçu de tout le spectre de la production mondiale, sans exceptions, à commencer par le film d’ouverture, Outlaw King, de David Mackenzie. Il retrace, certes de façon assez conventionnelle, le parcours difficile du roi d’Ecosse au Moyen-Age Robert Bruce, qui avait réussi à chasser de son pays l’envahisseur anglais après moult péripéties, en un véritable road-movie anachronique à travers les beaux paysages écossais bien mis en valeur. Bien évidemment, cette ouverture à Netflix bénéficia en tout premier à Roma, d’Alfonso Cuarón, qui venait d’obtenir le Lion d’Or à Venise. Ce beau film en noir et blanc qui suit avec minutie et délicatesse dans toutes ses activités les plus prosaïques les pas d’une petite bonne venue d’un village perdu du Mexique pour travailler dans une famille bourgeoise de Mexico dans les années 1970 recueillit une « standing ovation » du public du beau cinéma « Princess of Wales » lors de sa projection publique.

Malgré le mauvais temps certains jours, le public local répondit très nombreux à la programmation et se pressa comme jamais dans des queues interminables et stoïques, tant est forte sa ferveur de voir un cinéma qui lui est autrement invisible. Ainsi, les professionnels nord-américains bénéficient-ils d’une véritable « sneak-preview », d’une projection-test grandeur nature, et ceux du monde entier d’une plate-forme utile pour les ventes internationales de leur film, du fait de la présence d’un public très positif.

DESTROYERLe festival a d’ailleurs su garder un coté didactique et bon enfant que l’on a bien oublié dans la plupart des autres grandes manifestations internationales en proposant très souvent au public payant de rester dans la salle, parfois près de 30 minutes après la fin de la projection, pour des séances de questions-réponses ouvertes avec l’équipe du film. Il fallait ainsi écouter la belle qualité des échanges entre la salle et Karyn Kusama et Nicole Kidman après la projection de Destroyer, un film où la star méconnaissable, enlaidie à souhait dans un rôle de policière psychologiquement détruite par la mort de son partenaire et amant, donne une prestation qui devrait la mettre dans la liste des « Oscarisables » de l’année – Oscars pour lesquels Toronto est devenu l’une des principales rampes de lancement.

L’ouverture sur la ville et ses habitants se manifesta également lors de la piétonisation devenue rituelle de la rue qui borde le quartier général du Festival, le « Bell Lightbox », durant le premier week-end de la manifestation. Concerts gratuits, distribution de cadeaux en tous genres, « food-trucks » à foison, donnaient une belle ambiance à une rue Royale (« King Street ») joliment livrée au peuple de Toronto.

Les quelques prix d’un festival… non compétitif

Bien que le festival ne soit officiellement pas compétitif, ce qui lui donne l’accès à nombre de productions qui refusent les aléas des jurys, quelques prix y sont tout de même décernés, à des titres divers.

Le plus suivi est bien sûr le prix Grolsch du public. Il revint au Green Book, de Peter Farrelly, où Viggo Mortensen est en quelque sorte le « Bodyguard » de Mahershala Ali, en musicien noir devant faire une tournée dans le sud ségrégationniste des Etats-Unis en 1962. Il y a aussi maintenant un prix Grolsch du public de la section « Folies de minuit » (« Midnight Madness »), que reçut The Man who feels no pain de Vasa Bala et un prix Grolsch du documentaire qui fut attribué à Free Solo, de E. Chai Casarhelyi et Jimmy Chin.

FirefliesParmi les autres prix, on remarquera tout particulièrement le Prix Canadian Goose du meilleur film de fiction canadien décerné à La Disparition des Lucioles, film attentif et sobre du québécois Sébastien Pilote. Dans cet anti-Lolita, en quelque sorte, ce dernier parvient à renouveler le sujet classique de l’arrivée à maturité d’une adolescente. La jeune actrice Karelle Tremblay y offre avec qualité une répartie attachante à Pierre-Luc Brillant, acteur et musicien de talent, tout de retenue dans le rôle d’un adulte devenu l’objet d’une affection pudique qui n’est jamais malsaine.

On signalera également le Prix FIPRESCI de la Critique Internationale, qui revint, au sein de la section « Discovery », à Float like a Butterfly, de l’irlandaise Carmel Winters, et le Prix Air France de la section Platform dont la compagnie était le sponsor officiel pour la deuxième année, qui échut à Cities of Last Things, du réalisateur de Malaisie Wi Ding Ho. On décerna aussi pour la première fois un prix Eurimage-Audentia de la meilleure réalisatrice, qui revint à l’Israélo-Ethiopienne Aäläm-Wärqe Davidian pour Fig Tree.

Parmi les autres films les plus courus par le public torontois, on notera évidemment Fahrenheit 9/11, le nouveau semi-documentaire un tant soit peu décousu, comme à l’ordinaire, de Michael Moore. Il s’agit à la fois d’une intelligente introspection sur le mauvais sort fait par les États-Unis à certains de leurs citoyens les plus pauvres, comme à Flint, dans le Michigan, où l’on a sciemment alimenté les habitants en eau non potable pour faire des économies, et d’une tirade parfois maladroite et un peu confuse contre Donald Trump. On se pressa aussi aux projections de First Man, le nouveau film du réalisateur de La La Land, Damien Chazelle, qui retrace les pas de Neil Amstrong, de la Terre à la Lune, à celles des Frères Sisters, de Jacques Audiard, et à celles du remake fort remarqué de A star is born par Bradley Cooper, passé de l’autre côté de la caméra, où il partage la vedette avec Lady Gaga, encensée pour sa première prestation à l’écran.

Les professionnels en masse le premier week-end

Comme on en a maintenant l’habitude, c’est surtout le premier week-end que bruissa d’activité le lieu de rendez-vous des professionnels, l’hôtel Hyatt qui jouxte le quartier général du festival, le « Bell Lightbox ». Ils y trouvaient une bibliothèque de visionnement direct de nombreux films et les stands de nombreux organismes de promotion du cinéma. On y voyait en particulier Unifrance, bien sûr, l’organisme de défense du cinéma français, et « European Film Productions », l’organisme intereuropéen de promotion du cinéma. Maintenant dirigé par Sonja Heinen,  l’action à long terme de l’EFP s’est traduite par la présence à Toronto de pas moins de 53 longs métrages produits par 52 producteurs découverts au fil des années par ses opérations « Producers on the move » et 30 acteurs promus dans ses opérations « European Shooting Stars ».

Il reste maintenant à Cameron Bailey à prendre le relais, en compagnie également de sa nouvelle co-directrice, Joana Vicente, ancienne directrice de l’Independant Film Project, qui aura la tâche difficile de remplacer dans le courant de 2019 la directrice exécutive du festival, Michèle Maheux. Celle-ci a su efficacement accompagner et compléter le travail de Piers Handling durant les près de trois décades de leur beau parcours à la tête de ce qui n’était initialement qu’un « Festival des Festivals » sans grande ambition, et est maintenant devenu l’un des quatre plus grands rendez-vous du cinéma mondial, avec Berlin, Cannes et Venise.

Philippe J. Maarek

 

75° Mostra de cinéma de Venise – 2018

venise 2018

Un lieu magique, une organisation parfaite où les journalistes accrédités pouvaient voir les films de la compétition et des différentes sélections avant le public, sous réserve d’un embargo de 24 heures. Un festival qui attire les grands noms du cinéma international, sans pour autant que la qualité de leurs œuvres soient garanties. Ici, les partenaires commerciaux sont accueillis chaleureusement et force est de constater que les films produits par Netflix sont impressionnants, comme Roma, d’Alfonso Cuarón, un Lion d’or amplement mérité.

Romad’Alfonso Cuarón. Mexique, 2018, 2h15. Avec Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Marco Graf, Daniela Demesa, Enoc Leaño et Daniel Valtierra.

Après plusieurs productions internationales, le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón revient dans son pays pour un film plus intimiste, le récit de son enfance brillamment mis en fiction pour faire coïncider l’histoire personnelle des femmes de son enfance et l’évocation du Mexique des années 1970.

L’ouverture du film est saisissante : de l’eau est répandue en grande quantité sur un sol en carrelage. Pendant que défile le générique, la bande son évoque un nettoyage à grande eau, avec des bruits de balai-brosse, de porte, de respiration. On imagine aisément quelqu’un en train de laver une grande surface et Cleo apparaît. C’est une petite femme à la peau sombre qui va peu à peu éveiller la grande maison où elle travaille. Une famille bourgeoise ordinaire, quatre enfants entre douze et six ans, une grand-mère, puis Sofia la mère, et Antonio, le père, qui est médecin. Une vaste maison au centre-ville de Mexico, dans le quartier de Roma qui donne son titre au film.

ROMA_USEFORANNOUNCEMENTLe temps du film se déroule sur une année environ et s’il est vu à travers les yeux d’un enfant, c’est Cleo qui au centre du récit. Elle habite une petite chambre sur les toits et descend un escalier métallique chaque matin pour gérer la grande maison : nettoyage de la cour intérieure dès l’aube, réveil des enfants et petit-déjeuner avant le départ à l’école, courses, lessive, rangement, et le soir encore, elle veille à ce que tout soit en ordre. Pour le cinéaste, c’est dans ce quotidien très banal que se tissent des liens durables, sans forcément qu’on en ait conscience. Il y aura aussi quelques drames, que les femmes sont capables de surmonter, où elles se découvrent solidaires au-delà des différences de classe sociale, alors que les hommes fuient leurs responsabilités.

Si Alfonso Cuarón dénonce les inégalités sociétés et raciales de son pays, il le fait avec subtilité, le montrant par des gestes ou des situations très anodines et ancrées dans le quotidien. Lorsque toute la famille regarde la télévision dans le salon, Cleo est avec eux, un enfant posant tendrement sa main sur son épaule. Mais c’est elle qui se lève pour préparer la tisane et qui reste la dernière éveillée pour éteindre les lumières, la première levée pour nettoyer la cour. Jamais Cleo ne se révolte, elle trouve normal d’être entièrement au service de ses patrons et les remercie sincèrement de si bien s’occuper d’elle lorsqu’ils lui achètent un lit pour son bébé à venir.

Lorsque Cleo va retrouver son amoureux au village, le contraste avec la ville est saisissant. Il faut prendre un bus, marcher dans la boue, passer devant de pauvres cabanes. Une vie grouillante loin de tout service public. Le réveillon du Nouvel an, dans un ranch à la campagne, au-delà d’une chaleureuse réunion entre amis, où les maîtres boivent trop, flirtent les uns avec les autres et s’amusent à la chasse au gibier sauvage, est aussi l’occasion, comme par inadvertance, de montrer la frontière entre  »maîtres et valets ». C’est dans ces détails que la mise en scène révèle la violence des situations.

Quand la révolte gronde dans la rue, ce sont les étudiants des classes les plus aisées qui défient le gouvernement en place. Lors du massacre de Corpus Christi (10 juin 1971), c’est avec l’aide de groupes paramilitaires indigènes payés par les forces de l’ordre officielles que les manifestations sont réprimées dans le sang. Là encore, c’est pour le réalisateur une façon de montrer toute la complexité de la société mexicaine de cette époque.

Roma est l’histoire d’une famille, c’est l’instantané d’un pays, à travers quelques d’épisodes superbement mis en scène, et visuellement très impressionnants. Comme une séance d’entraînement aux arts martiaux (entre effroi et ridicule), une trop grosse voiture américaine qui casse les murs de la maison, un chien toujours enfermé qui emmerde tout le monde, un accouchement entre douceur et tristesse, une sortie à la plage toute en tension et lumière.

L’utilisation d’une image en noir et blanc, magnifiquement éclairée, évoque les photos de famille et permet au spectateur d’entrer pleinement au cœur de cette maison, comme on feuillette un album de famille. Que l’intérieur de la maison, comme les extérieurs, soient dans une même gamme chromatique, permet de renforcer cette impression d’emprisonnement qui enveloppe les femmes, à l’instar des nombreuses grilles de la maison. Cela donne une certaine mélancolie à l’ensemble, comme si Alfonso Cuarón nous disait : tout n’était pas beau dans mon enfance, mais c’était mon enfance… Enfin le noir et blanc permet au réalisateur de rendre hommage à son héritage de cinéma, et quelques clins d’œil à ses films précédents.

Roma est le quartier dans lequel le réalisateur a vécu enfant. C’est aussi un mot qu’on peut lire à l’envers et qui alors dit  »amor », c’est à dire  »amour » en espagnol… Célébrant les femmes et le pays de son enfance, Alfonso Cuarón fait un film brillant et émouvant auquel le jury de la 75° Mostra de cinéma de Venise a attribué le Lion d’or du meilleur film de la compétition.

Produit par Netflix, il n’y a pas de sortie prévue en salle de cinéma, même si de façon ponctuelle, le film pourra être proposé sur grand écran, notamment à l’Institut Lumière de Lyon lors du festival qu’il organise en octobre.

Magali Van Reeth

Palmarès du jury de la 75° Mostra de cinéma de Venise :

(Président, Guillermo del Toro, avec Sylvia Chang, Trine Dyrholm, Nicole Garcia, Paolo Genovese, Malgorzata Szumowska, Taika Waititi, Christoph Waltz et Naomi Watts)

Lion d’Orpour le meilleur film : Roma d’Alfonso Cuarón (Mexique)

Lion d’Argent – Grand Prix du Jury : The Favourite de Yorgos Lanthimos (Royaume-Uni, Irlande, Etats-Unis)

willem-dafoe-van-gogh-at-eternitys-gate-2Lion D’argent du Meilleur Réalisateur : Jacques Audiard pour  Les Frères Sisters (France, Belgique, Roumanie, Espagne)

Coupe Volpi de la Meilleure Actrice : Olivia Colman (dans  The Favourite)

Coupe Volpi du Meilleur Acteur : Willem Dafoe dans At eternity’s gate de Julian Schnabel

Prix de la Mise en Scene : Joel Coen and Ethan Coen, pour The Ballad of Buster Scruggs

Prix Special Du Jury Prize : The Nightingale de Jennifer Kent (Australie)

Prix Marcello Mastroianni pour un ou une Jeune Acteur (Actrice) : Baykali Ganambarr (dans The Nightingale)

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