Talinn 2012

Le 16e Tallinn Black Night Film Festival: un mega-festival se forme dans l’Europe du Nord-Est !

Le Black Night Film Festival de Tallinn(à Talinn en hiver, la nuit tombe vers 16h) propose un large programme de séries de compétition et de séries secondaires:

« Eurasia », la compétition principale,

la compétition du meilleur film estonien, la « Tridens Herring » compétition, qui présente des oeuvres baltes et nord-européennes (Allemagne incluse)

la compétition « North American Indies »

les « Section des droits de l’homme », « Nord Lights », « Forum » et « Panorama » et même d’autres programmes nationaux et thématiques.

Au-delà, le Black Night Film Festival comprend pendant les premiers jours un festival à part entière de court-métrages et des films d’étudiants, aussi connu sous le nom « Sleepwalkers ». C’est un programme international mais où il y a surtout des films estoniens et baltes et ceux de la très prometteuse « Baltic Film and Mediaschool ». De plus, un festival de film d’animation et de film pour enfants complète le programme ainsi qu’un marché du film qui gagne en importance d’année en année (il est concentré sur les derniers jours de la quinzaine du festival). L’équipe du Black Night Festival s’occupe de tous ses invités avec une attention chaleureuse qui rend difficile le départ.

Le principal prix a été remporté par l’ukrainien « House with a Turret » d’Eva Neymann. Ce film en noir et blanc montre avec intensité le large éventail du sentiment de solitude. Solitude seulement du personnage principal, un garçon de huit ans, qui, en temps de guerre, se met à la recherche de son grand-père dans un paysage hivernal après avoir perdu sa mère décédée dans un hôpital provincial, mais aussi solitude de tous ceux qu’il croise sur son chemin. La caméra suit son regard enfantin sur une réalité cruelle. Ce n’est que dans ses rêves qu’il trouve de la paix et du bonheur. Ces petits moments d’évasion malgé les désastres environnants sont capturés avec une grande sensibilité poétique par Neymann.

Hors du commun est également « Wadjda », la première oeuvre du cinéaste Haifaa Al-Mansour qui est aussi le premier film entièrement réalisé et finalisé en Arabie-Saoudite. Al-Mansour, trace le portrait, souvent en caméra cachée, d’une fille rebelle et sûre d’elle de douze ans dans son entourage hypocrite, dont le quotidien est parfaitement structuré par des règlements, sous la surveillance de sa mère et son professeur. En dépit de tous les obstacles, elle cherche un chemin vers plus de liberté et d’autonomie, n’abandonnant jamais son rêve d’avoir une bicyclette, symbole de la révolte féminine contre une éducation stéréotypée. Pour atteindre son objectif, elle apprend des extraits du coran par coeur, car ainsi elle pourra gagner des prix. Elle se révèle plus talentueuse que ses condisciples dévotes. Avec un humeur fin en évitant pathos et polémique, Al-Mansour offre un regard intense sur une société en transformation lente vers le respect de l’individualité et la reconnaissance du droit à l’autonomie.

Une autre contribution impressionnante venant de la Grèce, « Boy is eating the bird’s food » d’Ektoras Lygizos, plonge dans l’univers d’un jeune homme aux perceptions troublées et au comportement psychotique et instable. Les gros-plan systématiques ne permettent au spectateur ni de voir l’ensemble et ni de prendre distance mais le positionnent dans une situation claustrophobe dans laquelle se trouve également le protagoniste. Dans une transe  provoqué par une manque de nourriture, avec des mouvements précipités et non-contrôlés, celui-ci goute et avale tout ce que se trouve dans son entourage immédiate, y compris la nourriture pour ses deux oiseaux, les seuls êtres vivants dont il s’occupe vraiment. La désorientation de cet esprit  confus évoque le « Requiem for a dream » de Darren Aronofsky.

La contribution allemande, « Hanna Arendt » de Margarethe von Trotta, gâche malheureusement le sujet important de la confrontation avec la banalité administrative du « mal » qui est devenue une évidence choquante pour Arendt au cours du procès Eichmann en Israël. Le film se réduit aux aspects sentimentaux de l’entourage privé d’Arendt, celui de quelques intellectuels immigrés aux Etats-Unis, ainsi que de ses amis israéliens, sans oublier Heidegger, qui, dans un flashback, se met à genou devant elle en faisant une déclaration d’amour. Tous ces personnages sont représentés comme une horde de jeunes hystériques, entre rancune et moralisation simpliste. Heureusement, Trotta donne quelques minutes de pur plaisir intellectuel en mettant en scène le discours d’Arendt sur la dignité de la pensée dans une conférence magistrale.  Un passage qui reste dans les mémoires.

Au sein du programme « Eurasien »  et du programme estonien, Toomas Hussard s’est fait remarquer avec « Mushrooming » pour sa représentation satirique de la dégradation mentale et morale d’un politicien de haut rang et d’une rockstar dans des situations critiques et néfastes pour leur carrière. Sans doute, ce sujet est-il d’actualité, au moment où l’on soupçonne de corruption faits à certains politiciens de haut rang en Estonie… Hussar montre avec lucidité la manipulation des faits par les mass-média.  On remarqua également dans la section estonienne le film « Demons » d’Ain Mäeots, qui est apparemment une étude sur la mentalité d’un joueur, mais qui montre plus généralement la confrontation des naïfs avec les fausses promesses d’une société de consommation, qui mène à la catastrophe tous ceux qui ne sont pas fin prêts pour ses jeux et risques.

Au sein de la compétition « Tridens Heering » qui regroupe des productions nord-européennes et baltes, la contribution allemande de Jan Ole Gerster a retenu un vif intérêt. Son film « Oh boy » est une nouvelle variante d’une histoire banale : le désarroi et la difficulté d’un jeune homme d’accepter un statut ou un rôle dans la société. Dès le début du film, il refuse l’invitation de sa copine de rester, ses démarches concernant son permis de conduire le confrontent avec les rituels sadiques mais bureaucratiquement justifié de l’administration, son père, la caricature d’un homme d’affaire fortuné, ne lui offre pas de perspectives, et même les rencontres avec des personnes apparemment libres comme une actrice, jadis amoureuse lui, se révèlent problématiques. L’absence d’un modèle de vie acceptable lui donnant du sens culmine dans une dernière rencontre avec un vieux solitaire dans un bar berlinois qui n’a pas trouvé le chemin vers la sociabilité pendant toute sa vie et qui meurt peu après à l’hôpital sans un seul parent autour de lui. Pour le jeune personnage principal, le vieil homme devient alors ce que pourrait être dans le futur sa propre vie s’il ne trouve pas sa voie. Gersten a souligné qu’il a fait un film très subjectif, basé sur ses propres expériences, et n’a pas cédé à la tentation de mettre en scène un scénario plus prometteur. Son film est sorti avec succès en Allemagne, spécialement à Berlin.

Le deuxième film hors des sentiers battus de « Tridens Heering » vient de la Russie. « La Fille » d’Aleksandr Kasatkins et de Natalya Nazarova fait vivre l’ambiance d’une petite ville provinciale russe et de ses adolescents pour lesquels cet endroit  est équivalent d’un monde sans futur. D’un côté, par défaut, ils se réfugient dans le monde bien contrôlé du sexe facile et des drogues, et de l’autre ils sont confrontés avec les valeurs de la religion orthodoxe qui leur reproche leurs péchés. A travers un climat de violence, où le problème du secret de la confession s’oppose à la révélation de situations extrêmes comme des pratiques de tortures policières, les cinéastes parviennent à dessiner une histoire d’amour timide et douce qui ne paraît jamais forcée notamment grâce à la performance convaincante des jeunes acteurs. Le jury de la FIPRESCI attribue son prix à cette oeuvre complexe et actuelle.

Dieter Wieczorek