Téhéran 2016

fajr2016Si le Fajr Festival existe depuis plus de trente ans, ses organisateurs, le directeur Reza Mirkarimi et ses principaux collaborateurs Amir Esfandari, Reza Kianian et Jafar Sanei Moghadam avaient à cœur de lui donner une tournure plus internationale, aussi bien dans le choix des films, l’importance du Marché que dans le choix des locaux. Cette année le Fajr a donc pris ses quartiers dans un très beau bâtiment récent, dans le centre animé de Téhéran. Au-dessus d’un centre commercial, le Festival est installé sur trois étages où se répartissent les bureaux, le Marché du film et l’espace restauration, le dernier étage étant réservé à de très belles salles de projection. Les festivaliers sont ravis et accueillis avec le sens légendaire – mais toujours bien vivant – de l’hospitalité perse.

La professionnalisation de ce Festival, qui depuis deux ans s’ouvre au-delà de la production iranienne, s’accompagne d’une rigoureuse sélection de films internationaux. La qualité était au rendez-vous et assez audacieuse dans un pays où le pouvoir religieux est historiquement méfiant vis-à-vis du cinéma. On a pu voir des films très différents, comme le montre le palmarès final, et deux programmes de courts-métrages d’excellente qualité ont complété la sélection officielle.

Les prix ont été remis lors d’une superbe cérémonie de clôture, bien réglée et mise en scène avec astuce. Elle s’est terminée en musique par un groupe de femmes accompagnées d’instruments locaux dont les voix ont su enchanter les spectateurs.

Dans la compétition internationale, le prix du meilleur film a été attribué à Béliers de Grimur Hakonarson (Islande/Danemark) et celui du meilleur réalisateur à Frenzy d’Ermin Alper (Turquie/France/Qatar). Dans la compétition asiatique, ce furent respectivement Walnut Tree de Yerlan Nurmukhambetov (Kazakhstan) et Madame Courage de Merzak Allouache (Algérie/France) et le jury inter-religieux a primé les documentaires Zemnaco de Mehdi Ghorbanpour et Love Marriage in Kabul d’Amin Palangi (Afghanistan/Australie).

Hors compétition, on a pu voir des films qui quittent rarement les écrans locaux et permettent aux visiteurs extérieurs de découvrir tout un pan de la société iranienne.

Les films dit « de propagande » ne sont pas une section en soi mais une catégorie de films qui étonnent toujours les visiteurs occidentaux, tant ils sont inhabituels dans les grands festivals classiques. Ce sont souvent des fresques historiques où des religieux luttent contre un pouvoir corrompu, ou des récits hagiographiques autour de la vie d’un prophète ou d’un personnage saint. Ils peuvent bénéficier de très gros budget et d’une mise en scène très professionnelle, comme Mohammed le messager de Dieu de Majid Majidi ou Iran’s Orphanage d’Abolghasem Talebi (récit d’un soulèvement contre le mandat britannique en 1918). Ou être de très mauvaise qualité comme le film iraquien The Martyr d’Abdul Aleem Taher. On a pu voir aussi un maladroit film d’espionnage, Mina’s Option de Kamal Tabrizi, situé à l’époque de la guerre Iran-Irak. Enfin, on peut ranger dans cette catégorie et venant d’Azerbaïdjan Bloody January de Vahid Fuad Mustafa Yev, sur les massacres soviétiques du 20 janvier 1990.

Dans les films iraniens, la famille est toujours au cœur d’une intrigue montrant combien il est difficile de vivre ensemble lorsque chaque individu a ses propres désirs, souvent peu compatibles avec ceux des autres. Sans doute une métaphore d’une société très respectueuse des traditions mais où les individus aspirent à plus de liberté et d’autonomie. Dans ces familles, on trouve souvent un enfant adulte souffrant de handicap – My Brother Khosrow d’Ehsan Biglari ou Sister de Marjan Ashrafizadeh – et encore quelques « farhadesqueries » (médiocre imitation des films d’Asghar Farhadi) comme Blind Point de Mehdi Golestani. Et une pépite, Breath de Narges Abyar où la réalisatrice retrace une enfance pleine de fantaisie, avec la révolution islamique en toile de fond et quelques incrustations d’animation pour les passages les plus délicats.

Il est toujours difficile de comprendre le poids réel de la censure et les difficultés rencontrées pour organiser une telle manifestation dans un pays où le pouvoir religieux impose des contraintes morales aux images et à l’idée même de la représentation divine et humaine. Les organisateurs se soucient d’abord du bien-être des festivaliers et refusent avec élégance et pudeur d’évoquer ce qui ne va pas… Mais ils ont réussi à faire un beau festival professionnel qui mérite plus d’attention de la part du monde occidental.

Magali Van Reeth