Berlin 2015: félicitations au jury!

Comme l’aurait dit Rabelais, le jury de la 65ème édition de la Berlinale présidé par Darren Aronofsky aura su extraire la « substantifique moelle » d’une sélection en dents de scie.

La belle composition du jury pouvait, en vérité, laisser augurer d’un excellent palmarès. Sous la houlette de Darren Aronofsky, qui le présidait, siégeaient parmi d’autres rien moins que Matthew Weiner, l’auteur de la célèbre série télévisée Mad Men, dont on sait qu’il ne s’en laisse pas compter, mais aussi la productrice italienne Martha De Laurentiis. Il y avait aussi la réalisatrice péruvienne Claudia Llosa, une habituée des prix de la Fipresci, de la critique internationale et Audrey Tautou pour la France, bref, du beau monde.

Or, alors que la compétition avançait, il apparut de plus en plus que les films des cinéastes les plus « reconnus » décevaient plus ou moins.  En particulier, le Queen of the desert tant attendu de Werner Herzog ne parvint jamais à faire oublier le Laurence d’Arabie de David Lean malgré la similitude des prémisses et l’intérêt potentiel d’avoir fait du héros une héroïne. Nicole Kidman y incarne un personnage historique qui a probablement eu autant d’influence que Laurence d’Arabie, Gertrude Bell, une Anglaise féministe avant la lettre qui rayonna à dos de dromadaire à l’orée du 20° siècle à travers tout le Moyen-Orient, par fascination pour les tribus bédouines qui se le partageaient. Mais la mise en scène de Herzog, de façon surprenante, est extrêmement convenue, d’un classicisme étonnant pour le génie créateur de Fitzcaraldo ou de L’Enigme de Kaspar Hauser. En outre, l’effort du compositeur Klaus Badelt pour reprendre certaines des sonorités de Maurice Jarre dans le film de David Lean ne fait qu’ajouter à l’envie de revoir « l’original », en quelque sorte. Une autre déception fut le pastiche de Terence Malick par lui-même, en quelque sorte. Son Knight of cups dévoie une incontestable maîtrise de la caméra au service d’un scénario inexistant et même incompréhensible où Christian Bale, Cate Blanchett et Nathalie Portman en sont réduits à incarner des silhouette quasiment muettes se promenant devant la caméra de Malick.

TaxiBref, le jury sut ne pas s’arrêter à ces quelques déceptions venant de noms très attendus, et ne pas hésiter à aller chercher plus loin son palmarès. Il décerna ainsi à juste titre sa récompense supr Profitant du cadre fourni par un volcan actif où se situe le film, Bustamante nous fait comprendre la valeur r Jayro Bustamanteême, l’Ours d’Or, à un long métrage fait pourtant de bric et de broc, le Taxi de l’Iranien Jafar Panahi, dont on sait qu’il est théoriquement interdit de tournage dans son pays. Lui-même présent dans son film en chauffeur d’un taxi, Jafar Panahi a monté une caméra dans cette voiture, et en a fait son studio ambulant, en quelque sorte. Il est ainsi parvenu à composer une œuvre cinématographique en juxtaposant avec bonheur des saynètes constituées par les passagers qui hèlent la voiture pour composer un kaléidoscope vif et bien ajusté de l’Iran d’aujourd’hui. Darren Aronofsky et ses jurés furent d’ailleurs ici rejoints par le jury Fipresci de la Critique Internationale qui décerna également son prix pour la compétition à Taxi.

Le jury officiel continua à se détourner, à juste titre, nous semble-t-il, des valeurs « classiques » de la compétition, pour la plupart de ses autres prix. L’Ours d’Argent, son « Grand Prix », le dauphin de l’Ours d’Or, revint en effet à El Club, du cinéaste chilien Pablo Larrain, une sobre et nette introspection sur le catholicisme latino-américain aujourd’hui. L’Amérique Latine fut d’ailleurs à l’honneur puisque l’Ours d’Argent spécial « Alfred Bauer » est revenu au touchant Ixcanul, sans doute l’une des meilleurs surprises de la Berlinale 2015, une coproduction entre le Guatemala et la France réalisée par Jayro Bustamante. Profitant bien du cadre particulier fourni par un volcan actif au pied duquel se situe le film, Bustamante nous fait comprendre la valeur de la culture autochtone en la confrontant à la civilisation nord-américaine à travers les yeux du périple initiatique d’une jeune fille d’ascendance Maya. Toujours l’Amérique Latine au palmarès, enfin, pour le prix du meilleur scénario décerné au vétéran Patricio Guzman pour El Bóton de Nacár.

45 yearsParmi les autres récompenses décernées par le jury, on signalera encore l’astucieux octroi des deux Ours d’Argent de la meilleure interprétation au splendide duo d’acteurs formé par Charlotte Rampling et Tom Courtenay dans l’émouvant 45 Years du britannique Andrew Haigh, qui suit minutieusement, à petites touches, la décomposition implicite d’un couple âgé lorsque le corps de l’ancienne petite amie du mari, disparue à la suite d’un accident, est retrouvé après un demi-siècle. Le jury sut aussi saluer le tour de force réalisé par le directeur de la photographie Sturla Brandth Grœvlen qui tourna  Victoria de Sebastian Schipper en un seul plan de … 2 heures et 20 minutes! On y suit en temps réel à la lueur glauque de la nuit finissante un groupe de petits voyous berlinois qui commettent un « casse » accompagnés d’une jeune espagnole rencontrée par hasard. Grœvlen méritait cet Ours d’Argent, même si l’idée du plan unique revenait à son réalisateur-scénariste, dont le script était un peu trop décousu.

Au-delà de la compétition

Comme à l’accoutumée, le Festival de Berlin, qui se veut un festival populaire, avec plus de 300.000 spectateurs dans ses salles chaque année, a frappé par la qualité et le nombre de ses cinéphiles payants, puisqu’il accueille le public dans quasiment toutes les projections de ses sections officielles, mis à parts un nombre réduit de séances limitées à la Presse. C’est dire qu’outre la grande salle Marlène Dietrich, les répétitions de la compétition, par exemple, dans l’immense FriedrichPalast situé au cœur de l’ancien Berlin Est, furent bondées, tout comme celles de la section « Panorama », dirigé par Wieland Speck, qui fait ses premières au beau « ZooPalast » rénové depuis l’an dernier, l’ancien quartier général de la Berlinale, lui à l’Ouest de la ville. On y vit, entre autres, dans ses diverses programmations, les derniers films de Gabriel Ripstein (600 Millas), de Rosa von Praunheim, bien sûr, un habitué de la section (Härte), le dernier film de Raoul Peck, Meurtre à Pacot ou Ned Rifle, l’attachant film en forme de « Chronique d’un meurtre annoncé » de Hal Hartley. Les salles du « Forum International du Jeune cinéma », l’autre grande section historique du Festival, dirigée par Christoph Terhechte depuis que son fondateur, Ulrich Grégor, a passé la main, ne déparèrent pas non plus. Le jury de la Fipresci décerna son prix pour le Forum à Il gesto delle Mani, de l’italien Francesco Clerici, n’hésitant pas à saluer ici un documentaire presque calligraphique sur une fonderie de bronze traditionnelle établie depuis 1913 à Milan.

Les Professionnels aussi

Mais il ne faut pas oublier que le Festival de Berlin, c’est aussi le premier rendez-vous de l’année des professionnels du cinéma du monde entier, désireux d’y nouer des affaires avant le rush cannois du mois de mai, où au contraire d’y découvrir des gemmes avantIMG_0420 que d’autres ne les voient plus tard. A cet égard, la réussite du travail de longue haleine de Beki Probst, l’ancienne directrice et maintenant  Présidente du « Marché Européen du Film », est manifeste. On y a compté cette année la bagatelle de 8.500 professionnels accrédités, en provenance de 100 pays, dont 1.568 acheteurs. 748 films, le plus souvent différents de ceux des sections « publiques » y furent montrés en 1.014 séances! Même l’espace physique dédié au Marché s’est étendu, plusieurs étages de l’hôtel Marriott complétant maintenant le quartier général du Martin Gropius Bau. Un signe clair de ce succès, d’ailleurs, est le fait qu’Unifrance a dû réduire l’espace de détente de son stand pour accueillir plus de sociétés en son sein.

Ajoutons que le Festival, c’est aussi une multitude d’événements parallèles, comme par exemple le tremplin aux jeunes acteurs européens fourni par l’opération « Shooting Stars » de l’European Film Promotion, l’organisme de promotion fédérateur de ses homologues nationaux européens. Pour la première fois, une petite section de la Berlinale était consacrée… aux séries télévisées, montrant que Dieter Kosslick, le maître d’œuvre du festival, n’oublie pas de suivre l’évolution de la culture moderne, la présence au jury de Matthew Weiner en ayant été un autre signe.

Philippe J. Maarek

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