Toronto 2012

Le Festival de Toronto fait l’événement

Il n’y a dorénavant plus aucun doute, le Festival International de Toronto est devenu l’événement cinématographique majeur de la seconde partie de l’année, se démarquant maintenant considérablement de ses principaux concurrents de l’automne, et notamment de Venise, par l’importance de la participation des professionnels du cinéma du monde entier, mais aussi par la ferveur de son public de spectateurs cinéphiles. Depuis deux ans, Toronto bénéficie en outre d’une remarquable base, le Bell Lightbox un bâtiment tout neuf, construit grâce à des millions de dollars de donations. Il dispose ainsi tout au long de l’année d’espaces d’exposition, de cinq salles de cinéma, et de bureaux permanents sur ses six étages. Cela fait maintenant du groupe un acteur permanent de la vie culturelle de la capitale économique du Canada.

Le Festival se prolonge ainsi toute l’année pour les habitants de la ville, avec par exemple une reprise cet automne de l’exposition sur le monde de James Bond qui a fait cet été le plein au musée Barbican de Londres. Mais il est aussi devenu un événement cinématographique majeur grâce à deux facteurs qu’il est sans aucun doute le seul à avoir su réunir aussi bien, sous la houlette de Piers Handling, qui préside avec brio de longue date à la destinée de l’ensemble de ses activités, assisté maintenant de Cameron Bailey à la direction artistique du Festival à proprement parler.

Le premier facteur de réussite est son côté non compétitif, qui lui permet d’attirer nombre de productions indépendantes, nord-américaines en particulier, qui n’auraient jamais pris le risque d’une compétition avec les aléas des jurys et de leurs compositions hétéroclites. Deux avantages en découlent ainsi, d’abord, la possibilité de présenter des films pas forcément complètement inédits, des « simples » premières nord-américains de films européens ou autres remarqués dans d’autres festivals par ses sélectionneurs par exemple. Le deuxième avantage est de donner ainsi une rampe de lancement à des films indépendants nord-américains qui y trouvent public, presse et professionnels. Ainsi, depuis nombre d’années, Toronto est-il devenu une rampe de lancement des Oscars. Cette année encore, parmi d’autres, Argo, le film de Ben Affleck inspiré par l’histoire authentique de la demi douzaine de diplomates américains qui ont réussi à échapper à la prise d’otage du personnel de l’ambassade du pays à Téhéran, du temps de Jimmy Carter, a ainsi pris ses marques de façon très nette à Toronto pour la compétition, comme The Artist l’avait fait l’an dernier, d’ailleurs. Il faut dire que Ben Affleck, qui s’est donné le rôle principal du film, tient le spectateur en haleine : sa mise en scène est nerveuse et précise, d’une grande efficacité, n’hésitant pas à utiliser tous les ressorts possibles pour cela (jusqu’à une boite de vitesse récalcitrante au tout dernier moment, qui semble empêcher pendant quelques seconde le départ du bus des fugitifs vers l’avion salvateur…). Un film qui s’est en outre révélé d’actualité, puisqu’au moment de sa projection, on manifestait, et hélas tuait, devant et dans plusieurs ambassades américaines au Moyen-Orient. Argo a d’ailleurs failli remporter le prix « Blackberry » du Public, arrivant très près du vainqueur, Silver Linings Playbook, de David O. Russell, un film aidé par la présence de Robert de Niro et de Bradley Cooper, surnommé depuis quelques temps outre-Atlantique le « nouveau Clooney ».

Le deuxième facteur de succès de Toronto réside justement dans cette présence d’un véritable public payant, un peu comme à Berlin – et contrairement à Cannes, où le public majoritairement formé de professionnels est ainsi moins représentatif de la réalité et sans aucun doute plus exigeant qu’un public « normal». Grâce à l’ouverture du Bell Lightbox et à l’utilisation de nombre de salles d’un énorme complexe cinématographique voisin, le Festival se dédouble en effet, une partie des salles n’accueillant que le public payant (avec quelques invités professionnels quand ils le demandent), et l’autre n’accueillant que les professionnels, sans les contraintes des précédentes (pas de queues, un accès rapide aux films). Du coup, les projections prennent l’aspect de « sneak-previews » grandeur nature et permettent ainsi de tester les films, et notamment ceux des productions « indépendantes » américaines ou les importations potentielles d’outremer aux yeux des professionnels présents. Ainsi, en 2012, si Passion de Brian de Palma, a été aussi mal accueilli à Toronto qu’il l’avait été à Venise, malgré la superbe prestation de Rachel Mc Adams, des œuvres comme le Spring Breakers de Harmony Korine, The Sessions, de Ben Lewin, ou The Paperboy de Lee Daniels – certains vus à Cannes et encore dans les cartons – ont montré par leur succès public aux 4280 professionnels en provenance de 80 pays présents qu’ils pouvaient envisager une sortie nord-américaine ou étrangère sereine malgré des aspects un peu difficiles ou provocateurs.

Cette année, le festival se divisa en une bagatelle de quinze sections différentes, présentant ainsi un éventail considérable. On pouvait certes y voir des films à grand public dans la section « Galas », où quasiment toutes les stars hollywoodiennes, de Tom Hanks à Will Smith, Robert Redford ou Helen Hunter, ou d’outremer, comme Monica Belucci ou Pierce Brosnan, passèrent un jour ou un autre. Mais, à l’autre extrême, il y avait les séances de minuit des films d’horreur ou de série B de la section « Midnight Madness » programmée par Colin Geddes, aux 1500 places remplies à craquer malgré l’heure tardive tous les soirs de spectateurs enthousiastes – et sympathiquement bruyants !

Quant au cinéma français, il eut la part belle à Toronto, avec pas moins de 24 films dans les différentes sections du festival, placés sous l’ombrelle d’Unifrance, dont la réception fut l’une des plus suivies des professionnels. Parmi eux, Dans la maison, de François Ozon, s’octroya le Prix Fipresci de la Critique Internationale de la section « Présentations spéciales » – le prix de la section « Discovery » allant à Call Girl, de l’Américain Mikael Marcimain.

Couronnement indispensable, enfin, pour les visiteurs comme pour les cinéastes « locaux », le festival est aussi une plate-forme de lancement inégalable pour les films canadiens, les seuls d’ailleurs à être placés sous la coupe d’un « vrai » jury, qui récompensa cette année de son prix « Sky Vodka » Antiviral, où Brandon Cronenberg prend la suite de son père David, avec une première œuvre dans le registre de la science-fiction, ex-aequo avec Blackbird, de Jason Buxton.

Philippe J. Maarek