San Sebastian se réveille!

Pour sa 59ème édition, le festival de San Sebastian s’est soudain réveillé : meilleure programmation, des séances quasi complètes et un palmarès qui décoiffe ! Si ces derniers temps la sélection ronronnait en terre basque, cette année la qualité était au programme et le public a répondu présent avec un bel enthousiasme. Pratiquement toutes les séances, de presse, de gala, au Vélodrome avec le public ou au Kursaal avec les invités, étaient complètes. Dans la sélection officielle, un beau mélange de réalisateurs confirmés et de jeunes talents, de films espagnols et asiatiques, de genres, du polar à la comédie.

Parmi les bonnes surprises, le nouveau film de Sarah Poley, Take this Waltz, un marivaudage très contemporain où le corps est complètement refoulé (ou en dépôt à la cuisine), laissant les sentiments et les trahisons se faire et se défaire en pensée… A l’opposé, la Madame Bovary d’Arturo Ripstein est plus charnelle, toujours dépressive et tout aussi mauvaise mère (elle nourrit sa fille chez Macdo) : Le Cœur a ses raisons, un huis-clos oppressant, serré, avec une remarquable mise en scène. Déception en revanche avec Amen de Kim Ki-duk qui filme ses souvenirs de vacances en Europe et nous les livres un peu bâclés.

Autre surprise, le rire est venu avec deux films français. Le Skylab où les vacances très franchouillardes de Julie Delpy ont emporté toutes les salles mais comme le disait un critique argentin hilare en sortant de la projection de presse, « les années 70, c’était les années 70 partout » ! Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache était présenté en clôture et a su autant émouvoir que faire rire, avec la rencontre d’un handicapé très riche et d’un grand mec cool un peu racaille, un moment de bonheur dans la grande salle du Kursaal.

Enfin dernière surprise, et de taille, un palmarès ébouriffant. La « Concha d’or » a été attribuée à Los Pasos dobles d’Isaki Lacuesta (Espagne/Suisse), un film qui n’avait même pas retenu l’attention des amateurs de pronostics. Le jeune réalisateur espagnol laisse ses personnages partir à la recherche des traces d’un peintre au pays Dogon. Rarement la notion très particulière du sacré, du mystère et du rôle très particulier de la nature et des ancêtres dans les sociétés africaines, n’a été aussi bien mise en images. On comprend pourtant que ce soit déroutant pour le grand public. Pratiquement tous les autres prix décernés par le jury présidé par l’actrice Frances Mc Dormes, ont été aussi déroutant pour le public.

Pour le prix du public, jusqu’au bout, la bataille a été serrée entre Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki et Une Séparation d’Asgar Faradhi mais le dernier jour, c’est The Artist de Michel Hazanivicius qui a fait le raz de marée dans le cœur des spectateurs, avec un taux de satisfaction quasi unanime. Du côté des prix parallèle, pas de grande surprise en revanche. La Fipresci a récompensé le très « fiprescien » Sangue de meu sangue, du réalisateur portugais Jaõa Canijo ; les associations LTGB, Albert Knobs de Rodrigo Garcias, où Glenn Close interprète une femme parfaitement dissimulée sous un habit de maître d’hôtel dans un établissement très chic de l’Irlande du 19ème siècle. Enfin, le jury Signis a choisi le nouveau film de Hirokazu Kore-Eda justement intitulé Miracle.

Magali Van Reeth

Pour la liberté d’expression des cinéastes iraniens

Communiqué de Presse du 28 septembre 2011

L’Union des Journalistes de Cinéma constate avec tristesse que les arrestations arbitraires, avec des chefs d’accusation politiques ou « d’espionnage » de cinéastes iraniens continuent à se produire et se sont récemment multipliées avec six nouvelles incarcérations. Les réalisateurs Mojtaba Mirtahmasb, Katayoun Shahabi, Hadi Afarideh, Nasser Saffarian, Shahnama Bazdar and Mohsen Shahrnazdar ont été accusés de collaboration avec la BBC (interdite en Iran) et de ne pas donner une image assez positive de l’Iran dans leurs films.

Une fois de plus, la censure et l’atteinte à la liberté d’expression du cinéma iranien ne suffisant apparemment pas, c’est à la liberté des cinéastes qu’il est encore porté atteinte, pour des raisons uniquement politiques. Comme pour toute situation de ce genre, quel que soit le pays où elle a lieu, l’Union des Journalistes de Cinéma exprime sa solidarité et son soutien aux cinéastes iraniens détenus.

Le Festival de Toronto toutes voiles dehors !

On savait déjà depuis quelques années que le Festival de Toronto était devenu l’une des trois ou quatre manifestations cinématographiques les plus importantes au monde, aussi bien du point de vue des films présentés que de celui de la profession, en particulier des exportateurs et acheteurs de films. Cette année, le Festival a bénéficié de la mise en service complète du Bell Lightbox, un immeuble entier flambant neuf comportant cinq salles de cinéma et des espaces d’exposition et de réunion, qui lui appartient en propre, après une souscription privée considérable. La manifestation s’est en outre maintenant regroupée dans la vicinité de son nouveau quartier général, sur quelques pâtés de maison de la ville, devenant ainsi infiniment plus facile pour les festivaliers. L’ouverture aux projections spéciales de la grande salle voisine de 1.500 places du théâtre « Princess of Wales » voisin a également donnée de nouvelles possibilités cette année.

Mais l’édification d’une domicile permanent propre au Festival, avec de nombreuses autres manifestations dorénavant organisées tout au long de l’année, n’est pas la seule ambition de Piers Handling, qui dirige de longue date l’ensemble de ces opérations. Assisté par Cameron Bailey à la codirection du Festival du Film à proprement parler, Piers Handling est une fois de plus parvenu à présenter au début de l’automne la fine fleur du cinéma mondial, qu’il s’agisse des films d’auteur ou des « locomotives » hollywoodiennes – ce qui en fait un événement de plus en plus « glamour » qui a maintenant aussi l’honneur des pages des magazines « people »: Georges Clooney, « Bragelina », Madonna ou Juliette Binoche, les flashes des photographes ont crépité!

L’aspect non compétitif du festival lui a en outre permis, comme chaque fois, de présenter aussi bien des films inédits, que des films « phare » présentés durant les mois précédents dans le monde entier, à commencer par les films les plus forts du Festival de Venise (avec un léger décalage symbolique seulement). Qu’il s’agisse du Lion d’or, le Faust, film de la maturité d’Aleksander Sokurov, de Shame, dont la mise en scène remarquable de Steve Mc Queen a valu à son acteur principal, Michael Fassbender, la Coupe Volpi du meilleur acteur, ou du populaire film d’ouverture, Les Ides de mars, de George Clooney, Venise était à Toronto, en somme. Mais l’on y vit aussi plusieurs des grandes nouveautés anglo-saxonnes de l’automne, y compris parfois des œuvres de facture plus « grand public », comme l’intelligent et humoristique Hysteria, de la réalisatrice Tanya Wexler, avec notamment Maggie Gillenhaal, le désopilant The Oranges, de Julian Farino, avec une distribution menée par Oliver Platt, Leighton Meester, Allison Janney et Hugh Laurie, ou le Trespass de Joel Schumacher avec Nicole Kidman, lui, huis clos bien banal, en vérité, comparé à ceux de Michael Hanneke… On vit aussi à Toronto Damsels in distress, le grand retour à l’écran après une longue absence, de Whit Stilman, l’auteur de Barcelona, un film dont l’humour complice se lit à chaque instant à plusieurs degrés tant il est en réalité fait de subtiles complexités superposées.

Au total, le Festival, ce fut 336 films, en provenance de 65 pays (dont 268 longs métrages) projetés dans une vingtaine de sections, de la populaire « Midnight Movies » dédiée aux films qu’on aurait autrefois qualifiés « de Série B », à la plus allusive section de documentaires « Real to reel ». Parmi eux, les films français furent nombreux, plus d’une trentaine, menés notamment par The Lady, le film de Luc Besson inspiré par la vie de la dissidente birmane Aung San Suu Kyi, et par Mon pire cauchemar, en première mondiale, le nouvel opus d’Anne Fontaine dont Isabelle Huppert tient la vedette en compagnie de Benoit Poelvoorde.

Les habitants de Toronto se pressèrent nombreux dans les salles durant les onze jours du festival, comme à l’accoutumée, et récompensèrent du « Grand Prix Cadillac du Public« , Where do we go now?, le second film de la réalisatrice de Caramel, Nadine Labaki. Les critiques de la Fipresci décernèrent quant à eux leur « Prix de la Critique Internationale » au vétéran italien Gianni Amelio pour Le Premier Homme et à Axel Petersen pour Avalon.

Quant aux professionnels, ils se bousculèrent lors des projections qui leur étaient réservés, même si la crise sembla initialement ralentir les flux d’achat. Mais vendeurs et acheteurs étaient bien tous là, ou presque, comme à Berlin ou à Cannes, comme on a notamment pu le vérifier lors des très courues réception d’Unifrance ou de « European Film Promotion », l’organisme de promotion du cinéma européen – qui avait à nouveau organisé son initiative d’aide aux coproductions entre l’Europe et le Canada, « Producers Lab Toronto« . Le cinéma mondial était bien présent dans la « Rue Royale » (King Street) de Toronto en septembre!

Philippe J. Maarek

Un palmarès épatant pour une Mostra qui ne le fut pas moins

A Venise, les propositions n’ont pas manqué, de la recherche formelle la plus exigeante à l’engagement social le plus prégnant.

Décidément, l’année aura été favorable au cinéma. Après une moisson cannoise si riche qu’on aurait pu redouter une mise en jachère obligée, la récolte vénitienne aura été de même portée. Avec en cerise sur le gâteau un palmarès presque de bout en bout conforme à nos souhaits. Comme le souligne l’ensemble de la presse italienne, pour une fois les meilleurs ont gagné.

Saluons d’abord le Lion d’or attribué à Alexander Sokourov. Ce créateur majeur de notre temps n’avait jamais encore obtenu de récompense à sa mesure, jugé trop élitiste sans doute. Voilà qui est fait avec ce Faust, à la fois transposition fondamentalement fidèle du texte de Goethe, donné en allemand, et prolongement de la réflexion du cinéaste sur l’essence du pouvoir. Film très impressionnant aussi, Shame de Steve McQueen, qui repart avec le prix de la critique internationale et l’interprétation masculine pour Michael Fassbender, le magnifique comédien qui jouait Bobby Sands, membre de l’IRA, conduisant sa grève de la faim jusqu’à la mort dans Hunger, le premier film de McQueen. Même maîtrise totale ici du jeu comme de la mise en scène, mais opposition de contexte puisque nous sommes chez les yuppies new-yorkais du moment. Dans le film précédent on mourrait pour ses convictions, ici de ne pas en avoir, la consommation effrénée du sexe tentant de combler un vide existentiel antonionesque. L’interprétation féminine n’a pas non plus suscité la moindre contestation tant est évident le talent de Deanie Yip, une cinquantaine de titres à son actif mais inconnue chez nous, dans le film de Ann Hui, Une vie simple. On est aussi ravi de trouver au palmarès en prix spécial du jury Terraferma d’Emanuele Crialese, le pendant italien de Philippe Lioret. Nous sommes là dans la tradition du néoréalisme, dans une de ces îles (Lampedusa est la plus connue) qui voit débarquer au péril de leur vie des immigrés venus d’Afrique, ce qui n’a pas l’heur de plaire à nombre d’autochtones non tant racistes en soi que vivant du tourisme, eux-mêmes contraints à cette activité car la pêche ne donne plus. Le film sait exposer les problèmes dans leur complexité, allant jusqu’à souligner la différence entre les générations venues de la Résistance et celles simplement conduites par le profit.

Un palmarès sans faute donc, nos seuls bémols étant pour le prix du scénario à Alpis nouveau film de l’auteur de Canine, Yorgos Lanthimos, qui nous avait déjà fort énervé, et, secondairement, la légère surévaluation qui a conduit à donner le Lion d’argent de la mise en scène au deuxième film de Cai Shangjun, Gens de la montagne gens de la mer (c’est une expression chinoise) qui, sous prétexte de traque d’un assassin, nous permet de découvrir les dures conditions de travail à la mine, comme des paysages dignes de westerns.

Jean Roy