Le 76e Festival du Film de Locarno 

Le Festival du film de Locarno, qui se déroule sur 10 jours du 2 au 12 août, est considéré comme l’un des dix meilleurs au monde. Avec 11 sections, trois concours et 20 prix,  certains choix de la 76e édition ont été quelque peu déconcertants.

Le jury était présidé par l’acteur français Lambert Wilson et composé de l’actrice franco-iranienne Zahra Amir Ibrahimi (Prix d’interprétation féminine pour Les Nuits de Mashhad de Ali Abbasi à Cannes en 2022), de l’Américaine Leslie Kleinber, directrice du cinéma au Lincoln Center, de la réalisatrice britannique Charlotte Wells et d’Amatias Knoll, président de l’Académie européenne du cinéma (Pays-Bas).

Les jurés ont décidé d’attribuer le Léopard d’or à la production irano-allemande Mantagheye Bohrani (Critical Zone) du réalisateur iranien Ali Ahmadzadeh, considérant le film comme « un hymne à la liberté et à la résistance en Iran« . 

Ce film écrit et réalisé par Ali Ahmadzadeh (né en 1986) raconte l’histoire d’une nuit dans un Téhéran semi-déserté. Il a été tourné sans autorisation du régime iranien, avec des acteurs non-professionnels. Critical Zone montre des personnages et des situations que l’on ne voit habituellement pas dans les films iraniens diffusés dans les festivals internationaux. Il a été filmé en secret et donne un aperçu des enfers de la ville d’une manière trouble et étrange. Téhéran semble être un foyer de trafiquants de drogue, de toxicomanes, de pervers et de fous qui trouvent leur seul refuge dans cette vie abjecte. 

Le contexte a obligé le réalisateur à diviser le tournage en dix courts métrages, à partir desquels le film a été réalisé. L’équipe était réduite à  l’acteur principal, au réalisateur, au caméraman et au preneur de son.

Une petite caméra manuelle a été utilisée pour filmer secrètement certaines scènes à l’aéroport, où le réalisateur s’est glissé dans les files d’attente à pour éviter d’attirer l’attention. Il a parfois eu recours à de faux permis et, à d’autres moments,  à des pots- de- vin à la police. « J’ai profité de toutes ces circonstances pour le motiver, lui et l’équipe, à dire ce qu’il voulait dire en tant que réalisateur », a déclaré Sina Ataeian Dena,  le producteur irano-allemand du film lors du discours d’acceptation du prix à Locarno, représentant qu’Ahmadzade qui ne pouvait pas quitter l’Iran.

Le producteur, dans son discours, a exhorté le monde à soutenir le peuple iranien. Il a également accordé une interview sur le film et les conditions imposées au tournage pour le bulletin d’information du festival, concluant en disant qu’il avait appris comment fonctionne le régime en Iran : « Plus une personne est sous les projecteurs, plus elle est en sécurité ».

Ce prix a pourtant déçu de nombreuses attentes, notamment parmi les critiques, qui se sont tournés en grand nombre vers le film N’attendez pas grand-chose de la fin du monde du réalisateur roumain Radu Jude. Il a tout de même remporté le Prix spécial du jury. Jude a prononcé un discours politique, non dénué d’humour, mais appelant à la non neutralité de la position à l’égard de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, en faisant notamment référence à la Suisse.

Le long métrage de Jude, d’une durée de 163 minutes, parle du travail, de l’exploitation, de la mort et de la nouvelle économie du travail. Surmenée et sous-payée, Angela parcourt Bucarest en voiture pour le casting d’une vidéo sur la sécurité au travail, commandée par une entreprise multinationale (germano-autrichienne). Le film montre comment ces entreprises tentent de rejeter la responsabilité des accidents uniquement sur les travailleurs. 

Maryna Vroda

Le prix de la meilleure réalisation ( également prix de la Fipresci) a été décerné Maryna Vroda pour le film ukrainien  Steppes, une oeuvre d’une profondeur humaine certaine. La réalisatrice a terminé le tournage avant le début de la guerre en Ukraine. Steppes est l’histoire d’Anatoliy, un homme qui rentre chez lui pour prendre soin de sa mère mourante. La rencontre avec son frère et une femme qu’il aime l’amène à réfléchir à ses choix. Le film évoque le thème de la disparition, du départ et de la séparation de quelque chose de précieux ainsi que le silence des générations passées sur leur histoire dans une société post-soviétique.  

Le documentaire français  Nuit obscure-Au revoir ici, n’importe où » (183 min.) de Sylvain George, a reçu une mention spéciale du jury. Le réalisateur a suivi pendant des années, dans une enclave espagnole au Maroc, la marche de jeunes mineurs originaires du Maroc qui tentaient d’atteindre le « paradis » européen par tous les moyens. En mettant en scène avec une caméra sensible et un regard esthétique, malgré la situation, des enfants vivant dans la rue, il a montré comment résiste à ces situations la personnalité de ses héros. 

Nada Azhari Gillon

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