Cannes 2011, ses attraits et la raison de son succès

Pour chaque critique de cinéma, le festival de Cannes est un rendez-vous qu’il faut honorer, il est indispensable de s’y rendre. Pourquoi ?

Parce que Cannes, c’est non seulement la vitrine par excellence du cinéma mondial, mais aussi le centre des évènements para-cinématographiques du monde pendant douze jours. Cannes devient même par ricochet un terrain favorable aux débats concernant les problèmes politiques du monde. C’est pour cette raison que l’engagement tantôt franc et tantôt subtil de sa direction aux côtés des cinéastes malmenés dans leur pays d’origine, en a fait un lieu de haute voltige diplomatique.

Mon expérience personnelle du cru 2011 doit être partagée en trois parties : mon impression de la sélection; l’évènement créé autour des deux films iraniens, dus à deux cinéastes condamnés par le régime iranien, et sélectionnés à la dernière minute; enfin, mon statut cette année de membre du jury de la FIPRESCI

La sélection

Cette année, comme toutes les autres, on a eu droit aux « grosses pointures » du cinéma qui attirent du monde et font la réputation d’un festival. En revanche, ce systématisme donne l’impression qu’elles considèrent garantie à vie une place en compétition, et qu’elles se laissent aller à paresse et négligence. Woody Allen figure ici en tête, sauf qu’il a choisi de ne participer à aucune compétition depuis quelques années et de ce fait on peut lui accorder des conditions atténuantes. D’autant qu’il a rendu joliment hommage à Paris dans son dernier opus Midnight in Paris. Mais, que dire d’Almodovar, de Moretti et de mon cinéaste de prédilection, le plus novateur d’entre tous, Lars Von Trier ?? Et, les frères Dardenne ? Où est-elle partie leur force d’investigation profonde du malaise des individus écrasés par le poids de leur histoire familiale ou de l’injustice sociale ?

Comment justifier la présence de films tels que Polisse et Drive en compétition? L’un donnant la versionfrançaise de la série télévisée Police de New York, et l’autre, un film purement commercial sans intérêt aucun. Je passe sur le choix du jury qui est souverain…

Les deux films qui se sont détachés de l’ensemble bancal de la sélection sont, sans aucun doute, Le Havre d’Aki Kaurismäki (photo ci-contre) et We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay. Deux films magistralement conçus et réalisés d’un bout à l’autre. L’agréable surprise est aussi venue de L’artiste, film muet et en noir et blanc de Michel Hazanavicius, qui a donné à Jean Dujardin la possibilité de montrer son vrai talent.

Evénement autour des deux films iraniens de dernière minute

La société très paradoxale de l’Iran a donné la preuve de sa dualité au travers de deux de ses réalisateurs, qui présentaient leurs œuvres à Cannes, bien que condamnés en première instance, à 6 années de prison assorties de 20 années d’interdiction de tournage, d’écriture de scénario et de sortie du territoire pour l’un d’eux! Il s’agissait bien entendu de Jafar Panahi (ci-contre) et de Mohammad Rassoulof. Or, alors qu’ils sont en attente de leur Appel, Mohammad Rassoulof obtint l’autorisation de tourner et fit parvenir son film Au revoir à Cannes, qui l’a sélectionné pour « Un Certain regard« .

Quant à Jafar Panahi, lourdement condamné, il fit appel à un collègue documentariste, Mojtaba Mirtahmasb, pour mettre en image une journée de sa vie. Un film étonnant est sorti de cette collaboration, au titre ambigu et évocateur de Ceci n’est pas un film. Il fut expédié à Cannes de manière plutôt folklorique et sélectionné pour une séance spéciale.

Enfin, on apprit à la fin du festival que le passeport de Mohammad Rassoulof lui a été restitué. Ce qui veut dire qu’il aurait pu sortir du territoire. Si cette restitution avait été faite un peu plus tôt, il aurait même pu arriver à Cannes pour la projection de son film le 12 mai.

Pourquoi, dirait-on, condamnés pour avoir commencé à faire un film sur les évènements qui ont suivis les dernières élections présidentielles en Iran, les deux cinéastes ne sont-ils pas traités de la même manière ? Tout ceci a fait l’objet de beaucoup de questionnements lors des débats et conférences de presse organisés à Cannes et a fait couler pas mal d’encre dans les média du monde entier.

Etre juré de la FIPRESCI à Cannes, quel intérêt ?

L’avantage majeur d’être juré de la Fipresci à Cannes, c’est le « sur-badge » qui permet un accès un peu plus facile aux projections. Il n’y pas d’invitations à l’hôtel, contrairement à ce qui se passe dans la quasi-totalité des autres festivals. Pour les critiques que nous sommes, la participation au jury demande une tâche supplémentaire: rédiger un rapport pour le site de FIPRESCI.

En deuxième lieu vient le contact avec les collègues venus du monde entier, très enrichissant lors des délibérations. C’est à ce moment qu’on réalise que les critiques de cinéma développent à peu près la même sensibilité quel que soit le pays d’origine. Ceci était très visible lors des délibérations cette année: l’on a passé sous silence, comme par un accord tacite, la majorité des films en ne retenant que ceux qui avaient une certaine valeur ou une valeur certaine… Le Choix de Le Havre fut presque naturel. Un film qui, tout en reprenant tous les ingrédients de l’univers minimaliste de Kaurismäki, montre l’un des problèmes majeurs du Sud de l’Europe. Il montre également, avec une étonnante justesse, une image nostalgique de la France. Ce qui est surprenant de la part d’un cinéaste étranger et de surcroît nordique. Le choix de la langue française dans le style de Kaurismäki ne pouvait qu’ajouter à ce mélange sublime et délicieux.

En guise de conclusion j’aimerais exprimer mon regret du fait que les organisateurs du festival de Cannes n’honorent pas suffisamment le jury de la FIPRESCI, au-delà ce cette aide « technique » de la fourniture d’une carte de priorité, ne serait-ce qu’en l’invitant, au moins une fois ou deux, à une réception où les stars, à la renommée desquelles nous contribuons largement, sont présentes !

Shahla Nahid

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Les producteurs en mouvement pour l’EFP !

Cannes, c’est aussi le rendez-vous des professionnels et des films du monde entier. C’est aussi le lieu où les producteurs tissent des liens pour les films de demain.

Comme d’habitude, l’organisme de promotion du cinéma européen, “European Film Promotion” y a promu son programme d’aide aux jeunes producteurs, “Producers on the move“, qui a déjà récompensé des producteurs comme Bruno Levy ou François Kraus. En 2011, Justin Taurand, des Films du Bêlier, le producteur de Jean-Paul Civeyrac, Antoine Barraud, Shinji Aoyama, et Joachim Lafosse a été à l’honneur pour la France.

Philippe J. Maarek

Pour le renouvellement et l’autonomie du « Plan Média »

Communiqué de Presse de l’Union des Journalistes de Cinéma du 1er mars 2011

L’Union des Journalistes de Cinéma s’associe à l’ensemble des organismes professionnels qui demandent instamment à la Commission Européenne de ne pas mettre fin au plan Média et à son apport spécifique à l’audiovisuel, apport qui serait menacé par la fusion dans un programme culturel indifférencié. L’effet de levier du Plan Média depuis vingt ans a été considérable, et a permis de conserver une diversité irremplaçable aux productions des industries audiovisuelles européennes, sans compter le maintien des circuits de diffusion (Europa Cinémas, etc.) qui ont permis à ces oeuvres de trouver leur public.

Cannes 2010 : Le cinéma de Papa

Un membre du Jury FIPRESCI cette année à Cannes, surtout en catégorie « compétition officielle », comme c’était le cas de votre représentant, s’est retrouvé face à une sélection plutôt morne, sans beaucoup de repères de grande excitation, mais c’est, probablement, la ressemblance , par catégories et séries, parfois noires, parfois plus encourageantes, qui a pu faciliter, quand même, le suivi et le travail de dépouillement des films en vue du choix final. (Nos délibérations ont été aimablement accueillies cette année dans les locaux du Club Unifrance).

« Nous avons eu quelques films remarquables axés sur la famille », a dit Tim Burton, le Président du « vrai » Jury, en présentant les Prix du Meilleur Acteur. En effet, aux côtés de la « tendance » critique de la politique internationale, notamment des films sur les guerres d’Iraq et d’Algérie et le terrorisme international- les histoires de famille ont fourni un refuge réconfortant dans le monde des valeurs traditionnelles. Cette tendance est inséparable de l’autre grand phénomène des films de cette année, comme du 21ème siècle en général- le retour de la religion et du religieux, évident sur le plan philosophique, critique ou pratique dans presque tous les films importants en ou hors compétition dans toutes les sections.

Au centre de ces histoires de famille : le personnage,-et la recherche- du Père. Les Prix de la meilleure interprétation masculine sont allés aux deux braves papas. Javier Bardem dans « Biutiful » d’Alejandro Gonzales Inaritu a ses propres enfants, une femme psychotique et le cancer. Il se considère aussi responsable de la mort des enfants des immigrés Chinois clandestins qui vendent de la drogue. Elio Germano incarne brillamment dans « La Nostra Vita » de Daniele Luchetti un entrepreneur de bâtiment, qui lutte pour le bien être de ses enfants après la mort de sa femme, mais il prend aussi sous sa responsabilité le fils d’un ouvrier roumain, dont le père a été accidentellement tué sur le chantier, mais sa mort est intentionnellement cachée par le personnage incarné par Germano, pour protéger son emploi et ses enfants. Ca semble compliqué ? Pas tellement. Sous la couverture d’un « relativisme » moral, les héros des familles postmodernes cherchent désespérément le salut, la rédemption, la sécurité morale- tous ces symboles et valeurs que seule la religion peut apporter dans un monde incertain qui a été témoin de la fin des idéologies.

Une liste non exhaustive des autres Pères rencontrés cette année à Cannes : Le père qui vend son fils à l’armée dans « Un homme qui crie » (Prix du Jury) ; Le père absent devenu « gourou » dans « Kaboom » : Le père « cannibale » qui meurt dans la rue dans « We Are What We Are » ; Le père qui crée en enfant monstre dans « Le projet Frankenstein », « Housmaid » ou « La Casa Muda » ; Le père chinois qui rentre à la maison pour enquêter sur la mort du fils qu’il avait abandonné dans « Chonqing Blues ». Le terrible Gordon Gekko qui devient, quelques années en prison et la crise financière mondiale aidant, un vrai « papa poule » dans « Wall Street 2 »…Et aussi Joachim Sand dans notre Prix de la FIPRESCI, la très belle « Tournée » de Mathieu Amalric. Nous avons laissé, quand même, l’aspect religieux direct, comme il se doit, au Prix du jury Oecuménique, qui a été decerné, cette année aussi, lors d’une cérémonie commune à la « Plage des Palmes ».

Mais tous ces films correspondent aux critères et au schéma traditionnel- et religieux-de la famille, dans le sens ou les protagonistes sont, en général, punis pour leur crime, mais trouvent espoir et pardon dans leur foi, dans ce monde, mais surtout dans celui d’au-délà. Même « L’oncle Boomie » , la Palme d’Or (plutôt Bouddhiste) de cette édition, se crée un « paradis » à lui. Dans « Des hommes et des dieux », le Grand Prix du Jury de Xavier Beauvois , qui traite directement de questions éternelles de foi, morale et religion, les « Frères »,qui sont « comme des pères » pour la population locale, ce qui crée une sorte de « famille globale », disparaissent dans la brume au bout d’ une longue marche vers l’inconnu. Nous apprenons qu’ils ont été assassinés, mais que leur mort reste « un mystère »…

Il est intéressant de noter que les films « mal aimés » de la sélection ont essayé eux de coller à une vision moderne ou iconoclaste de la famille, qui ne semble plus être à la mode. L’excellant « Another Year » de Mike Leigh sur le vieillissement de la génération des sixties a été traité de « trop classique », même au sein de notre jury. D’ailleurs certains ont été persuadés qu’il recevra « de toute façon » un prix quelconque… Ou la parodie des films sur la Mafia (dans son cas : la « Yakouza ») de Kitano dans laquelle il déshabille brillamment l’étoffe des films de Gangsters jusqu’à leur plus simple appareil. Ici, la « famille », bien sur, c’est « l’organisation », et le « père » est un « Parrain », qui n’échappe pas, lui, à la mort… « Outrage» a été « disqualifié » comme un film « pas de Cannes ». Même Ken Loach, pas au sommet de son art dans un film « politico-conspiratif », traite d’un règlement de comptes sanglant au sein d’une « organisation » de mercenaires.

Et peut-être, compte-tenu de l’état lamentable du monde dans lequel nous vivons, c’est « le Cinéma » lui-même, qui, à l’occasion de sa Grande Messe annuelle dans le Paradis de Cannes est à la recherche du Père, de ses sources et origines, dans un monde de médias incertain, dans lequel il s’efforce de s’inventer un avenir, pour ne pas être pitoyablement traité de « Cinéma de Papa »…

Gideon Kouts

Le jury de la Fipresci de Cannes, dont Gidéon Kouts était membre, a décerné ses prix à:

Tournée de Mathieu Amalric, pour la competition.

Pal Adrienn de la hongroise Agnes Kocsis pour la section Un certain regard

You Are All Captains (Todos vós sodes capitáns) de l’espagnol Olivier Laxe, pour La Quinzaine des Réalisateurs et La Semaine de la Critique.

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